D'argile et de feu
Océane Madelaine
1er Roman Prix Première 2015
Durant des années, j’ai été un point de silence et d’immobilité. Mais ce point s’est mis en marche ce matin. Mes pieds commencent à inventer une ligne. C’est une ligne de fuite. »
Ainsi écrit Marie, jeune femme d’aujourd’hui, dans le cahier blanc. Elle y raconte sa déambulation, sa halte, l’adhérence des pieds sur le sol des chemins, sa rencontre par- delà les siècles avec l’autre Marie, Marie Prat la potière, qui savait transformer la terre dans ses mains et la cuire au feu. En ce 19ème siècle où la poterie était affaire d’hommes, elle inventait des pots et les signait avec insolence « fait par moi ».
Et c’est comme si la force vitale de Marie la potière consignée dans le cahier rouge, apprivoisait peu à peu Marie la narratrice hantée par un cauchemar d’incendie. Flamme de vie contre flammes de mort.
Océane Madelaine, céramiste et écrivain, manie les mots comme elle tourne ses pièces, avec rigueur, justesse, et la grâce de celle qui cherche la beauté de l’épure.
Elle signe là son premier roman.
Date de sortie : Janvier 2015
L'auteur : Océane MADELAINE
J'ai eu envie de vous la faire découvrir en vous partageant cet entretien paru dans
20 minutes.fr, voici l'entretien pour découvrir l'auteur mais aussi la céramiste.
1) Qui êtes-vous ? !
Je suis Océane MADELAINE, céramiste et écrivain. Après des études de Lettres Modernes à Toulouse et à Paris et deux nouvelles nominées au Prix du Jeune Écrivain, je me suis formée à la céramique et ai créé mon propre atelier, tout en continuant à écrire. D'argile et de feu, mon premier roman, s'inspire en partie de l'univers potier que je connais bien, et s'offre comme une réconciliation entre mes deux mondes. Depuis 2011, je vis et travaille dans les Corbières.
2) Quel est le thème central de ce livre ?
D'argile et de feu est le portrait croisé de deux femmes qui portent le même prénom : Marie. Il y a celle qui quitte tout et marche furieusement vers le sud, en cherchant un nouveau sens à donner à sa vie, et il y a celle qui, au 19ème siècle, devint une potière renommée alors que la poterie était affaire d'hommes. Le roman raconte comment Marie la narratrice découvre inopinément les traces de Marie la potière et reconstitue peu à peu son histoire. Et finalement, c'est comme si l'immense force de la potière apaisait et galvanisait peu à peu la narratrice hantée par le souvenir traumatique d'un incendie. Comme si l'éloge de l'argile et du feu venait enfin panser des blessures intimes, et répondre aux questions centrales de ce livre autour de la mémoire et de la présence.
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
Ce serait «Je suis un point qui marche», la première phrase du cahier blanc qu'écrit Marie ; c'est en vérité la toute première phrase qui m'est apparue avec netteté, un jour d'été et de rivière, et que j'ai griffonnée à la hâte dans mon journal. L'écriture du livre entier est née de ces mots-là, qui disent à la fois le mouvement et l'entrave, et contiennent déjà tout le récit de Marie, qui peut se lire comme le passage du point vers la ligne, l'horizon.
4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
Sans aucun doute, ce serait la musique de Lhasa, envoûtante, sauvage et douce, ses trois albums indifféremment, La Llorona, The living road, et Lhasa, que j'ai écoutés en boucle durant l'écriture de ce livre.
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
Je voudrais partager l'argile et le feu, bien sûr, et puis cet endroit fascinant que j'espère convoquer par l'écriture, cet endroit entre dedans et dehors, à la croisée de la mémoire, du secret, de l'intime, et de l'appel vers l'extérieur, la forêt, le sauvage, le corps en marche, la sueur. Et tout cela porté par une langue que j'essaie de travailler au plus près, au mot près, pour que les mots soient justes, exacts, tout en restant aussi très ouverts, afin de laisser de la place au lecteur.
6) Avez-vous des rituels d'écrivain ? (Choix du lieu, de l'horaire, d'une musique de fond) ?
Le rituel peut être plus ou moins pauvre. Il se résume souvent au choix du thé et au bol qui le contiendra, qui à eux seuls suffisent à délimiter l'espace d'écriture. Il peut parfois s'agrémenter de musique, d'un beau papier ou d'images, d'une bougie. Si j'ai plaisir à écrire le matin, je me satisfais maintenant de tous les horaires et de n'importe quelle table, pourvu de parvenir à libérer assez de temps pour écrire dans ma journée de céramiste.
7) Comment vous vient l'inspiration ?
Je crois que l'inspiration vient en travaillant la langue comme une matière, patiemment. Au bout d'un moment, ça prend, ça tient, ça existe, à force de vigilance et de tentatives. Bien sûr, l'inspiration vient aussi à force de ne pas écrire, à force d'accumuler du désir d'écrire, qui à un moment donné pourra enfin prendre forme.
8) Comment l'écriture est-elle entrée dans votre vie ? Vous êtes-vous dit enfant ou adolescente «un jour j'écrirai des livres» ?
L'écriture est première, primordiale, elle est là très vite dans l'enfance, dans l'ombre d'un grand-père écrivain mort, dans la présence de livres autour de moi, dans une certaine solitude. Je ne me disais pas alors que j'écrirais des livres, mais j'ai écrit, énormément, un journal intime, des récits, des poèmes, j'ai aimé le geste matériel d'écrire, la main crispée sur le papier. C'est plus tard que je comprends mieux ce que signifie vraiment écrire, que ça devient une véritable intention, et que je souhaite adresser cette écriture.
9) Vous souvenez-vous de vos premiers chocs littéraires (en tant que lectrice) ?
Dans l'enfance, j'ai beaucoup lu, à tort et à travers, tous les livres qui passaient à ma portée, beaucoup de romans. Je me souviens surtout de lire dans le rocking-chair, à côté de mes frères et soeurs, et de devenir absolument sourde à ce qui se passait alors dans la cuisine. Je me souviens notamment d'avoir lu et relu Les Misérables en pleurant, et d'avoir appris par coeur Les Yeux d'Elsa d'Aragon. A peine un peu plus tard, j'ai lu Le grand cahier d'Agota Kristof, dont je n'ai pas tout compris, mais qui m'a énormément marqué.
Ensuite c'est un feu d'artifice, qui continue encore et encore, jusqu'à former une espèce de famille qui m'accompagne : Virginia Woolf, Henri Michaux, Marguerite Duras, William Faulkner, Jean Genêt, Henry David Thoreau, Pascal Quignard, René Char, Françoise Lefèvre, Arthur Rimbaud, Robert Antelme, Yves Bonnefoy, Erri De Luca, Serge Pey, Elio Vittorini, Pierre Michon, Michèle Desbordes ou Cesare Pavese... Autant de mondes, autant d'émerveillements, le coeur battant, page après page...
10) Savez-vous à quoi servent les écrivains ? !
Les écrivains travaillent la langue et à travers elle, travaillent le réel, l'ouvrent, l'agrandissent, le creusent, l'interrogent, le dénoncent ou le métamorphosent. Ils sont comme tout artiste les garants de notre condition d'humains qui tentent d'ajouter quelque chose au monde.
l'article complet
Mon avis
Une perle dans un écrin c'est ce qui me vient à l'esprit pour ce premier roman d'Océane Madelaine lauréat du Prix Première.
Je suis un point qui marche, se définit Marie notre héroïne. Elle fuit, elle quitte tout et marche vers le Sud. Chemin faisant, elle s'arrêtera contrainte et forcée et croisera le destin d'une autre Marie vivant au dix-neuvième siècle. Une Marie qui a pris son destin en mains et qui est devenue "potière" de renom. Un métier pourtant bien réservé à l'époque à la gente masculine.
Nous allons avec Marie, faire le point sur sa vie, son histoire, vivre sa colère, ses angoisses, ses peurs, sa douleur mais aussi découvrir la rencontre de la matière et de deux éléments : le feu et l'argile.
Les couleurs sont fort présentes durant ce court et dense roman.
J'ai été séduite d'entrée de jeu par une écriture prenante, je dirais même envoûtante. Les phrases sont simples, puissantes allant à l'essentiel. Une écriture poétique, efficace, imagée qui m'a fait voyager, rêver. J'ai partagé le quotidien des deux Marie avec intensité. Comment la terre et le feu vont pouvoir transmettre l'énergie, la force d'une vie et d'une reconstruction.
Un premier roman bouleversant, un récit magnifique, l'histoire d'une renaissance en symbiose totale avec la nature. J'ai voulu noter chaque page tellement elles sont toutes magnifiques.
C'est d'une beauté rare, un livre court mais dense rempli de poésie comme j'adore.
Vous l'avez compris, gros coup de coeur que je vous conseille chaleureusement.
Les jolies phrases
Je suis en train de marcher, et cela requiert toutes mes forces. Je fais cela comme je n'ai rien fait dans toute ma vie : avec acharnement, intégrité, désespoir.
Que je fasse quelque chose de ma vie comme la rosée fait avec les fleurs, comme le soleil agit sur l'eau, comme l'herbe épouse la courbe des prés, ces sortes d'alliages internes, il faut que je fasse, avec ma vie, quelque chose de la même évidence.
La forêt est un cocon humide où se mélangent les odeurs qu'a révélées la pluie : odeur du bois mouillé, de l'argile boueuse, des feuilles luisantes et gorgées d'eau. Ça sent bon.
C'est un trou, je le sens comme ça. Il y a un trou dans mon pied droit et dedans je suis tombée, tout entière, d'un coup, moi si verticale et si liquide, tombée dans le trou de mon pied devenu gouffre ou grotte, tombée par orgueil, par inadvertance ou par furie, parce que je ne savais pas que de vulgaires cloques pouvaient à ce point attaquer la peau, parce que je ne savais pas qu'on pouvait chuter en soi-même, s'engloutir dans le sang et le pus, parce que je ne savais pas que du point au trou il n'y avait qu'une infime distance, j'avais dit allez ce ne sont pas quelques ampoules qui vont te retenir, allez du nerf, et j'avais continué à boiter en pestant tandis que le trou prenait toute la place du pied.
Ce qu'elle racontait auparavant à voix haute, tout ce qu'elle époumonait dans la forêt est enfoui dans l'argile, comme si la glaise, en s'incrustant jusque dans les lignes de la main, absorbait tout.
C'est comme si Marie Prat disait deux choses à la fois : je me moque et je vous aime. C'est comme si les visages portaient des masques mais que dessous avait lieu une vie intense et troublante, qui surgissait quand même jusqu'à moi. Et ce qui l'emporte, c'est cette tendresse et cette chaleur rieuses qui m'envahissent au fur et à mesure que j'entre dans le monde de la potière. J'ai des sanglots dans la gorge.
Il y a entre nous une sorte de compréhension physique globale, la même qui me relie intuitivement à la forêt, à la clairière, aux arbres, aux pièces de Marie Prat.
Mieux vaut économiser les mots parce qu'ils ne serviraient qu'à nous faire croire à autre chose, à du passé, à du futur.
C'est parfois très simple et parfois très compliqué de devoir se contenter de ce qui est là.
Pour la première fois de ma vie je me dis que cela peut être beau un feu. Puissant comme un soleil, sauvage comme mes cuisses, libre comme un chien fou.
Je dis que je contemple le processus qui a tué le père et a mère, et que je suis désormais capable de regarder cette sauvagerie en face.
Voilà peut-être ce que je dois apprendre d'elle : être là, simplement, de tout mon corps, m'ancrer dans le sol de tout mon poids et finir avec ce passé qui m'esquinte.
La mère disait de lui que son silence pesait à table comme une personne de plus.
J'ai vécu des années durant avec cette peur terrible du feu, mais là je comprends. C'est du désir intégral, pur, violent. Ils ne dompteront jamais ce feu et ils le savent, mais lui, c'est pareil au bout d'un moment. Leurs visages dégoulinant de sueur arborent un sourire mystérieux.