Magnifique roman.
Une épopée à travers un siècle. Joseph Kaplan est né en 1910 à Prague, il est issu d'une lignée de médecins juifs tchèques. Il étudiera à Paris et quittera son pays pour Alger en 1938 , il y travaillera comme biologiste pour l'institut Pasteur, il a fait ce choix après avoir hésité de s'engager lors de la guerre d'Espagne. Outre le travail, il adore la danse et la musique de l'argentin Carlos Gardel.
A Alger il rencontrera Maurice, Sergent et surtout Christine qui occupera les 2/3 du roman. Une femme hors du commun qui guidera une partie de sa vie, artiste de théâtre, engagée , elle est et restera l' AMOUR DE SA VIE.
Il restera au total 7 ans en Algérie. On vivra avec lui, l'Histoire avec un grand H. L'interdiction aux médecins juifs de pratiquer en Algérie en 1940, le régime de Vichy, le maintien des lois raciales et antisémites, les camps de concentration du sud de l'Algérie, le débarquement..
Dès la fin de la guerre, il essaiera de rentrer au pays dans l'espoir d'y vivre heureux. Mais nous sommes toujours à l'ère du communisme, Joseph a de grands espoirs , il s'engage en politique, et est élu, il y croit puis arrive le désenchantement, les peurs, les craintes.
En 1950 la pendaison d'un groupe de résistants au communisme dont Milada Horàkovà , qui devra attendre le printemps de Prague pour avoir droit à une réhabilitation posthume ; en 1952 la purge du parti communiste tchèque. On revit cette période de guerre froide où Moscou sème la terreur.
Il quittera alors la politique pour reprendre ses activités de médecin et se préparer à l'ouverture d'un sanatorium. Et là l'écriture s'emballe, le roman prend un autre tournant avec l'arrivée d'un personnage touchant, idéaliste, révolutionnaire, un certain Ernesto G. ..
Durant cette seconde partie on comprendra l'importance de la seconde femme de sa vie, Héléna, sa fille, celle pour qui peut-être il n'a jamais fui son pays comme d'autres très nombreux l'ont fait (on se réfère bien entendu au premier ouvrage de Guenassia "Le club des incorrigibles optimistes.") dont les personnages avaient tout quitté pour vivre une autre vie. On saluera au passage les petits liens et clin d'yeux qui nous ramène à certains personnages de cet incontournable ouvrage.
L'écriture est vraiment envoûtante, elle est pleine de finesse et nous amène entre romanesque et réalité d'une manière subtile. Le livre est super bien documenté, on pourrait presque croire que l'époque a été vécue par monsieur Guenassia. Un super travail où de nombreuse phrases dans l'écriture m'ont donné l'envie d'être relues, méditées, réfléchies, je vous en livre une série d'extraits.
A lire absolument ..
"Tu dois comprendre Joseph, dans la vie, il n'y a que 2 sortes d'hommes : les locomotives et les wagons. Je ne vois pas les choses comme toi. Dans mon métier, douter est une obligation. Moi ce que je veux, c'est faire reculer la frontière et découvrir quelque chose."
"Elle soutenait que les douleurs amoureuses ressemblaient aux chaussures en cuir neuves, elles font mal au début, souvent de façon intolérable, on croit qu'on va en mourir (mais personne n'est jamais mort d'un mal aux pieds), les grands chagrins, c'était kif-kif bourricot, au bout d'un temps plus ou moins long et après avoir plus ou moins souffert, on s'en accommodait en les rangeant dans un coin où ils finissaient par s'étioler, vieux trophées devenus inoffensifs..."
"Il faut t'adresser à ton malheur, lui poser des questions, trouver une solution pour qu'il arrête de t'importuner. Parle lui. S'il est trop dur, n'hésite paas à marchander. S'il a peur que tu l'abandonnes, il négociera avec toi. "
"Encore de la patience, il faut être philosophe, me dit-il..C'est donc à cela que sert la philosophie. A se résigner;"
"L'avantage des gens qui vous aiment, c'est qu'ils vous comprennent mieux que vous. Et s'ils ne vous comprennent pas vraiment, au moins ils vous aiment."
"Finalement, personne ne parle. Les choses importantes restent cachées au fond de nous. C'est vrai que si on devait tout se dire, il faudrait au moins une autre vie. on est probablement fabriqués pour vivre ainsi les uns à côté des autres, à se regarder de loin et à avoir des regrets de s'ignorer autant. C'est ça aussi peut-être le mystère de la vie."
"le capitalisme était une maladie latente comme la rougeole ou la grippe, véhiculée par l'égoïsme, la cupidité et l'avidité, le bon traitement était la solidarité entre les hommes et le désintéressement ; le Parti mettrait en place le principe fondamental de prophylaxie et d'hygiène sociale : de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ; le vaccin s'appelait justice et progrès social"