Kinderzimmer
Valentine GOBY
Actes Sud
Août 2013 / 11.5 x 21.7 / 224 pages
ISBN 978-2-330-02260-0
prix indicatif 20 euros
Quatrième de couverture
“Je vais te faire embaucher au Betrieb. La couture, c’est mieux pour toi. Le rythme est soutenu mais tu es assise. D’accord ?
– Je ne sais pas.
– Si tu dis oui c’est notre enfant. Le tien et le mien. Et je te laisserai pas.
Mila se retourne :
– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?
– La même chose que toi. Une raison de vivre.”
En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.
Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l’Histoire n’a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l’ignorance dans nos trajectoires individuelles.
Un mot de l'auteur
«D’abord, il y eut cette rencontre, un jour de mars 2010 : un homme de soixante-cinq ans se tient là, devant moi, et se présente comme déporté politique à Ravensbrück. Outre que c’est un homme, et à l’époque j’ignorais l’existence d’un tout petit camp d’hommes non loin du Lager des femmes, il n’a surtout pas l’âge d’un déporté. La réponse est évidente : il y est né. La chambre des enfants, la Kinderzimmer, semble une anomalie spectaculaire dans le camp de femmes de Ravensbrück, qui fut un lieu de destruction, d’avilissement, de mort. Des bébés sont donc nés à Ravensbrück, et quoique leur existence y ait été éphémère, ils y ont, à leur échelle, grandi. J’en ai rencontré deux qui sont sortis vivants de Ravensbrück, ils sont si peu nombreux, et puis une mère, aussi. Et la puéricultrice, une Française, qui avait dix-sept ans alors. C’était un point de lumière dans les ténèbres, où la vie s’épuisait à son tour, le plus souvent, mais résistait un temps à sa façon, et se perpétuait : on y croyait, on croyait que c’était possible. Cette pouponnière affirmait radicalement que survivre, ce serait abolir la frontière entre le dedans et le dehors du camp. Envisager le camp comme un lieu de la vie ordinaire, être aveugle aux barbelés. Et donc, se laver, se coiffer, continuer à apprendre, à rire, à chanter, à se nourrir et même, à mettre au monde, à élever des enfants ; à faire comme si. J’ai écrit ce roman pour cela, dire ce courage fou à regarder le camp non comme un territoire hors du monde, mais comme une partie de lui. Ces femmes n’étaient pas toutes des héroïnes, des militantes chevronnées, aguerries par la politique et la Résistance. Leur héroïsme, je le vois dans l’accomplissement des gestes minuscules du quotidien dans le camp, et dans ce soin donné aux plus fragiles, les nourrissons, pour qu’ils fassent eux aussi leur travail d’humain, qui est de ne pas mourir avant la mort. Mila, mon personnage fictif, est l’une de ces femmes. Kinderzimmer est un roman grave, mais un roman de la lumière.»
Valentine GOBY
Valentine Goby est née en 1974. Elle est notamment l’auteur de L’Échappée(Gallimard, 2007), Qui touche à mon corps je le tue (Gallimard, 2008), Des corps en silence (Gallimard, 2010) et Banquises (Albin Michel, 2011). Elle écrit également pour la jeunesse. Kinderzimmer (Actes Sud, 2013) est son huitième roman.
MON AVIS
Mila, Suzanne dans une vie lointaine est déportée et emmenée au camp de Ravensbruck comme prisonnier politique. Elle est française, résistante. Elle a à peine 20 ans. Elle y arrive en compagnie de sa cousine Lisette. Elle est enceinte.
Après un voyage en train, elles arrivent alors dans ce camp immense contenant plus de 40.000 femmes.
Là, elles vont découvrir l'horreur, la déchéance, l'humiliation.
Mila est toute jeune et ne sait pas grand chose de la vie et sur la vie qui va grandir dans son corps. Elle va comme dans un miroir voir à travers les autres ce qu'elle deviendra, devenir "ein stuck", une chose comme disent les allemands. Une ombre.
Elle va devoir lutter pour vivre, pour survivre et elle va voir son corps qui contient une petite vie, se transformer non pas en grossissant, mais en dépérissant, luttant et criant haut et fort le droit à la vie, l'espoir.
Cette vie qui lutte en elle, c'est ce qu'ils ne pourront pas maîtriser, elle et elle seule a le droit sur cette vie, pas eux.
Elle verra aussi l'autre côté du décor, dans ce froid, cette horreur, la maladie, le contradictoire : la Kinderzimmer où l'on s'occupe des enfants jusqu'à l'âge de trois mois !
Difficile de parler de ce livre dont la lecture ne peut laisser indifférent, l'écriture de Valentine Goby est telle que l'on a vraiment l'impression de vivre aux côtés de Mila, de vivre son quotidien : le froid, la faim, la maladie.
Cela fait un moment que j'ai terminé la lecture et elle me poursuit encore.
Ce qui est frappant dans l'écriture c'est le réalisme, cette notion de vécu au présent.
C'est une lecture très dure, vraiment certaines scènes sont horribles, insoutenables mais on ne peut absolument pas se détacher de la lecture. On a l'impression réelle de les vivre.
Un beau témoignage qui perpétue la mémoire, ce n'est pas un xième livre sur le sujet, non pas du tout. Il est vraiment émouvant, optimiste même car il y a toujours cet espoir qui est essentiel.
Un réel coup de coeur.
ma note : le maximum 10/10
Les jolies phrases
La femme au bidon de café ersatz et ces déportées françaises ne sont pas malades, ce sont seulement des prisonnières. Des (chtuques), elles disent en riant, des morceaux, des pièces, comme pièce de machines, pièce de viande.
Café ou wc il faut donc choisir. Se remplir ou se vider ? Et puis en sortir.
Ces pieds n'ont plus d'odeur dans la puanteur de l'ensemble : transpirations; pourriture des chairs ouvertes ; merde collée aux vêtements à cause de la dysenterie; merdes séchant sur le pourtour du Block où, faute de pouvoir attendre devant l'unique trou, les prisonnières finissent par s'accroupir plutôt que de se faire dessus.
Et puis un jour, tu tombes les os brisés sur ta paillasse, et tu t'enfonces dans le sommeil comme la pierre dans l'eau. Moi je ne rêve plus.
Il y en a qui voulait du savon, mourir pour du savon, ou bien croire à la vie assez pour ne pas imaginer mourir et profiter du petit morceau gras, odorant, mousseux, qui chasse les odeurs et éclaircit la peau, 5 cm3 de luxe, cinquante coups à cause d'un quart de pain de savon sur le moment elle n'y songent pas.
Ravensbrück, a dit Marianne, veut dire pont des corbeaux. Les corbeaux se perchent sur les toits des blocks et des bâtiments SS dans le rose du soir, tous les soirs. Les corbeaux se nourrissent de déchets, de cadavres. Ils nous attendent. Il n'y a pas un bébé dans le camp, pas une mère parce que mettre au monde c'est mettre à mort.
Souvenir effrayant des messes de l'enfance : "Prenez et mangez, ceci est mon corps, livré pour vous." Le pain c'est le corps. Pour de vrai.
Puis c'est le camp qui entre dans les rêves. Chaque nuit répète le jour, le jour traversé par deux fois, donc, revécu la nuit, et chaque journée nouvelle semblable à la précédente. C'est à en perdre toute notion du temps, de ses ruptures dans le monde du dehors, en dehors du camp, le camps est une journée sans fin qui dure toute la nuit et tous les jours qui suivent, une longue journée sans coutures infectée par des images de mort.
Dedans, sûrement, les organes se rétractent comme des figues sèches. Le corps s'avale. Se digère.
Etre vivant, elle dit, c'est se lever, se nourrir, se laver, laver sa gamelle, c'est faire les gestes qui préservent, et puis pleurer l'absence, la coudre à sa propre existence. Me parle pas de boulangerie, de robe, de baisers, de musiques. Vivre ce n'est pas devancer la mort, se tenir debout dans l'intervalle mince entre le jour et la nuit, et personne ne sait quand elle viendra.
"une femme libre" Je te l'ai dit, il n'y a pas de frontière entre le camp et le dehors. Tous les jours tu fais ton choix : tu continues ou tu t'arrêtes. Tu vois tu es libre, comme ta mère.
Contre toute attente, ce qui arrive est une échappatoire, le ventre un lieu que personne, ni autorité, ni institution, ni parti ne peut conquérir, coloniser, s'accaparer tant que Mila garde son secret. Elle y est seule, libre, sans comptes à rendre, on peut bien prendre sa gamelle, voler sa robe, la battre au sang, l'épuiser au travail, on peut la tuer d'une balle dans la nuque ou l'asphyxier au gaz dans un camp annexe, elle les a eus, les Boches ; plus qu'un enfant c'est bien ça qu'elle possède : une zone inviolable, malgré eux.
Ce froid augmente la faim. Ajoute aux douleurs de ton corps, il mord avec les chiens, morsure sur morsure. Tu ne peux pas l'expulser, il se loge dans tes os, au creux du squelette. Le froid c'est ta moelle. Tu ne peux pas lutter.
Même Mila ne doute pas : l'Allemagne a perdu. Pour l'instant elle s'en fout. Ca ne la concerne pas, la défaite allemande sur les lignes du front. L'inconnue est la même depuis l'entrée au camp : tu survis, ou tu y meurs. A Ravensbrück l'Allemagne a le droit de vie et de mort sur toutes choses. Et aussi, et contre ça tu ne peux pas lutter à coups de mitraille et de phosphore, il y a : la maladie, le froid coupant, la faim. Une guerre dans la guerre.
C'est une course contre le temps. L'ennemi, c'est le temps, c'est l'espace, l'autre nom du temps. Le temps l'espace qui séparent les bébés d'un toit, de réserves de lait, de médicaments, de vêtements chauds.
Elle sait qu'elle va porter Ravensbrück comme elle a porté son enfant : seule et en secret.