Les reines - Emmanuelle Pirotte
Le cherche midi
Collection Cobra
Parution : le 25 août 2022
Pages : 528
Isbn : 2749174155
Prix : 21 €
Présentation de l'éditeur
Du grand spectacle combiné à des enjeux Shakespeariens
Sur les ruines de nos civilisations, un nouveau monde s'est bâti. L'humanité a renoncé au progrès matériel et retiré au sexe masculin ses anciens privilèges. Les royaumes sont désormais gouvernés par des femmes, autant de Reines que l'épreuve du pouvoir révèle parfois autoritaires et souvent rivales.
Dans ce monde aux immenses espaces sauvages, des groupes de nomades, artisans, chasseurs et comédiens se croisent sur les vestiges des routes d'autrefois. Parmi ces communautés, celle des Britannia, où les jeunes Milo et Faith brûlent d'un désir réciproque et néanmoins interdit. Leur attirance va provoquer le bannissement de Milo. Commence alors pour le jeune homme une longue errance à travers les terres du Nord ; mais si Milo espère retrouver Faith, il n'imagine pas combien son voyage obéit aux lois de la destinée – ce grand compas qui, toujours, nous entraîne vers nos origines.
Sous la surface agitée de l'épopée, Emmanuelle Pirotte installe le décor et les enjeux de la tragédie antique. Jalousies, tensions amoureuses, filiations cachées, prophéties et vœux de vengeance électrisent les personnages qui se donnent à toutes les passions. Et l'on retrouve enfin, loin des potions prudentes et morales, la plus aberrante et la plus formidable des littératures.
Mon avis
Nous sommes dans le futur, 500 ans après "La Chute", entendez par-là, la disparition de notre monde actuel, disparition de la majorité de la population, des technologies, de la science en partie responsable du déclin, des livres et du savoir et du patriarcat.
Sur les ruines de nos civilisations, un nouveau monde s'est bâti. C'est bien dans une dystopie, dans un récit post-apocalyptique qu'Emmanuelle Pirotte nous emmène. Dans un monde où la population se fait rare, on va voyager des Hautes Terres des Grandes Îles au Royaume des Amazones du Danemark, sur les flots de la grande mer aux Hébrides.
Un pacte a été fait avec la Terre-Mère donnant le pouvoir aux femmes.
On va suivre deux jeunes, des Gypsies issus de la tribu Britannia : Milo et Faith. Ils sont inséparables, ils s'aiment et pourtant Milo, sera exclu des siens, banni, condamné à errer dans ce monde pour y trouver sa place, apprendre à survivre seul.
C'est alors une épopée qui commence à travers l'Europe centrale, avec au Nord, le domaine des Amazones et de leur reine Edda du Danemark, qui rêve d'étendre encore son territoire...
Sur une île rocher au large des Hébrides, on découvre Alba, une ancienne reine cruelle, une recluse devenue "sybille ", une oracle qui communique avec la Terre-Mère. Elle se livre dans son journal, en parallèle à L'histoire de Milo et Faith.
Peu à peu on comprendra pourquoi elle en est arrivée là.
Ce récit est juste magnifique, il nous emporte ailleurs. L'écriture est superbe, riche, exigeante parfois mais elle nous emporte dans un long poème épique, dans une tragédie.
Si cette histoire se passe dans le futur, elle n'en reprend pas moins les codes de la mythologie; Enée chez Virgile, Oedipe et Sophocle, Electre et Eschile mais aussi la tragédie Shakespearienne car l'amour passion est également au rendez-vous à plus d'un titre, Faith joue d'ailleurs une très belle Desdémone dans Othello.
Des secrets pimenteront le récit et vous tiendront en haleine.
Une question centrale est le pouvoir aux femmes. La question est posée: pour un mieux ou non ?
Je n'ai pas envie de vous en dire trop si ce n'est que des secrets pimenteront le récit et vous tiendront en haleine. D'autres thématiques abordées : le changement climatique, le respect du vivant, l'inversion des rôles, la limite du progrès et de la science et indirectement la littérature.
Je peux vous dire que lorsque l'on arrive au bout de ces 528 pages, on n'a pas envie que cela s'arrête, on voudrait rester encore avec ces beaux personnages.
Les jolies phrases
Mais le froid rend les êtres durs et sans pitié, il gèle les coeurs et anéantit les faibles.
Les femmes sont-elles plus aptes à exercer le pouvoir ? Ont-elles véritablement, comme veulent nous le faire croire les mythes de la Renaissance, plus de jugement, d'empathie, davantage le sens de la justice et de l'équité ? Sont-elles, sinon exemptes, du moins plus affranchies que les hommes du désir de puissance, de l'orgueil, de ce que dans le Très Vieux Monde on nommait l'hubris ? Je l'ai longtemps cru, j'ai défendu cette conception avec passion, avec une conviction fanatique, à la mesure de l'effarante inanité de cette croyance. Je sais aujourd'hui qu'elle est infondée et dangereuse. Je sais qu'une femme peut se révéler abjecte, retorse, envieuse, fourbe, d'une patience diabolique, destructrice et narcissique ; c'est une créature nuisible et prédatrice.
Je le sais parce que cette créature, c'est moi.
Nous sommes sans doute allés trop loin, moi la première. Mais trouver de l'équilibre lorsqu'il faut reconstruire sur les cendres d'une civilisation qui a oeuvré à son propre épanouissement ?
Vous croyez tout ce qu'on dit dans les livres ? Vous avez tort. Ce sont des choses sans vie, emprisonnées sur ces pages depuis trop longtemps pour être encore vraies. La parole écrite est morte. Le souffle l'a abondonnée.
Ça ne sert à rien de se plaindre et de ressasser. Il faut vivre avec ce que nous avons perdu, ou plutôt sans.
La nécessité de la guerre est ancrée en nous aussi solidement que l’orgueil, que le désir, la curiosité, que la fascination pour le pouvoir, pour la beauté ou le mal absolu.
Il faut toujours penser au souvenir qu'on laissera, Alba, c'est une préoccupation de faibles. La puissance, la grandeur n'ont que faire de la morale.
Ce qui est interdit fascine, c'est toujours la même bonne vieille histoire. L'humain désire ce qu'il ne peut posséder.
L'humanité n'aura-t-elle jamais fini de justifier toutes les avanies et les bienfaits qui la frappent en invoquant un dessein supérieur, une volonté transcendante ? Ne cesserons-nous jamais de chercher un sens à la vie ? La vie n'a d'autre sens qu'elle-même, elle est le principe originel, ultime, et notre rôle dans cette dynamique éternelle n'a pas plus ou moins d'importance ou de signification que celui de la fourmi ou du roseau. C'est ce que l'Homme nouveau est censé avoir appris depuis la Chute. Mais cette conception demande du cran, une bonne dose d'humilité et de courage qui finit toujours par nous faire défaut.
Ne dit-on pas que les hommes restent des enfants leur vie entière ?
Il faut aimer pour comprendre intimement quelqu'un !
Sans ce fameux amour - et tout le cortège des fausses vertus qu'il trimballe avec lui, bonté, compassion, abnégation - l'être humain ressemblerait au monstre qu'il est en réalité.
Puisqu'elle ne peut pas vivre, elle, qu'importe ce que deviennent les autres, tous les autres ? C'est cela vieillir sans doute : ne plus se soucier du devenir du monde, puisqu'on n'a plus rien à y faire . Après moi le déluge !
L'homme a ceci de stupide et touchant ; il a bien du mal à se représenter la vie aller son cours et le monde tourner en dehors de sa petite conscience prétentieuse qui refuse de disparaître, comme la tique refuse de lâcher sa peau. C'est peut-être ce qui a perdu les grandes civilisations autrefois.
Il est ardu de se débarrasser des croyances que l'on vous a tatouées dans le cerveau depuis votre plus jeune âge. ce n'est pas quelque chose dont on se débarrasse comme un tique.
C'est quand la part matérielle de notre être s'effrite que nous mesurons véritablement la nature de notre rapport au monde. Ce monde ne nous semble accueillant, bienveillant que si nous ne nous sentons pas menacés par lui. C'est peut-être ce qui explique que l'humanité n'ait eu de cesse de détruire, pour ne pas avoir peur.
Une évidence le saisit : l'identité d'un individu est forgée par le moindre moment de sa vie. Renier un seul de ces instants équivaut à nier qui l'on est, à répudier un morceau de soi-même.
La peur est un moteur nécessaire au fonctionnement de la plupart des êtres humains; elle seule leur permet de rester fiables, cohérents, de réfléchir plus utilement.
Qu’est-ce, au fond, que l’amour, sinon un miroir qui nous renvoie notre image transfigurée ?
Plus une communauté est répressive, plus ses règles de vie et ses coutumes sont liberticides, et plus ses membres agissent sans réfléchir en prenant des risques énormes. C'est là qu'est peut-être la vraie liberté.
Les forêts réalisent le rêve humain du Vieux Monde : vieillir sans vieillir, avoir mille ans mais toujours vingt, accumuler la connaissance, l'expérience, mais conserver la jeunesse, la beauté, la puissance, la capacité de régénérescence d'un corps neuf. Alba les comprend, ces hommes qui se prenaient pour des dieux et faisaient le pari de la toute puissance et de l'immortalité.
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