Trois soeurs - Laura Poggioli ♥♥♥♥♥
L'Iconoclaste
Parution : 18 août 2022
Pages : 320
Isbn : 9782378803018
Prix :20 €
Présentation de l'éditeur
Un portrait saisissant de la Russie d’aujourd’hui
Un parricide devenu symbole de la violence domestique russeAssises côte à côte dans l’entrée d’un appartement moscovite, trois jeunes filles, âgées de dix-sept, dix-huit et dix-neuf ans, attendent l’arrivée de la police, à quelques mètres du corps inerte de leur père, Mikhaïl Khatchatourian. Depuis des années, il s’en prenait à elles, les insultait, les frappait, nuit et jour. « S’il te bat, c’est qu’il t’aime », dit un proverbe russe. Alors, en juillet 2018, les trois sœurs l’ont tué. Une vague d’indignation inédite déferle, les médias s’enflamment.
Deux histoires en résonnance
Les visages insouciants des trois gamines, dissimulant les supplices endurés pendant des années, questionnent l’autrice. Elle se souvient de sa jeunesse moscovite où elle rencontra Marina, son amie la plus chère, et Mitia, son amour. Il lui donnait parfois des coups, mais elle pensait que c’était peut-être aussi de sa faute. Laura Poggioli reconstitue la vie de ces trois sœurs, et son histoire personnelle ressurgit.
Laura Poggioli nous interroge sur nos désirs, nos héritages culturels, familiaux et sur les violences systémiques. À travers une narration intime, elle nous plonge au coeur de la Russie : son rock, ses ombres, son charme brut, et le mystère de ces hommes doux quand ils sont hors de chez eux, violents dès que la porte se referme.
L'autrice
Née à Angers, d’origine italienne par ses grands-parents, Laura Poggioli tombe en amour de la langue russe au lycée. Elle poursuit son apprentissage à l’université en parallèle à ses études à Sciences-Po. Comme une évidence, son premier livre s’inscrit sur ce territoire-là. À son chevet, les recueils de Anna Akhmatova et Marina Tsvetaeïva, les deux grandes poétesses russes qu’elle aime autant pour leurs vers que pour leurs vies. Comme Marina Tsvetaeïva, elle fait reposer la sienne sur trois piliers : l’amour, la création, la famille. Âgée de 37 ans, elle est mère de trois enfants et vit à Boulogne- Billancourt. Bien sûr, Emmanuel Carrère est l’un de ses maîtres en écriture, avec, tout particulièrement, Un roman russe et Limonov.
Mon avis
Attention ! Claque littéraire !
Un premier roman indispensable, à lire de toute urgence !
C'est un docu-roman se basant sur un fait divers qui a secoué la société russe et son histoire personnelle, que nous propose Laura Poggioli. Un portrait saisissant de la situation en Russie.
Un livre qui permet de comprendre ce qui se passe réellement en Russie concernant l'attitude de Poutine et des dirigeants russes par rapport au sort des femmes vivant pour la majorité la violence conjugale et familiale.
C'est un récit dur, difficile mais tellement essentiel !
Le 22/07/2018, les trois soeurs Khatchatourian - Krestina 19 ans, Angelina 18 et Maria 17 - tuent leur
père Mikhaïl. Ce parricide est devenu le symbole de la violence domestique en Russie.
En effet, il faut savoir qu'en Russie, la violence domestique - sujet tabou - a été dépénalisée, si une femme demande de l'aide auprès de la police, on lui répond que l'on ne peut rien faire ! mais qu'on enverra une équipe sur place si elle meurt ! C'est vraiment interpellant, révoltant ! Aucune structure n'existe pour les femmes victimes de violence et l'auteur des faits sera soumis au pire à une amende administrative en cas de récidive ! A vomir !
Un proverbe russe ne dit-il pas "Biot znatchitlioubit " 'S'il te bat, c'est qu'il t'aime ! '
Stupéfiant non !
L'originalité de ce roman est que Laura Poggioli reconstitue la vie des trois soeurs et ce qui les a conduites à ce parricide en parallèle à son histoire et l'effet cathartique que l'affaire Khatchatourian aura eu sur le peuple russe mais aussi pour l'autrice qui se libère de son rapport aux hommes.
Laura a étudié le russe, a vécu dix-huit mois en Russie un pays et une culture qu'elle a aimés, elle y a rencontré Mitia, un amour toxique.
On remonte le temps pour comprendre la réalité, le quotidien des violences psychologiques, verbales, physiques et sexuelles vécues par les victimes que la société russe présente toujours comme coupables.
Aucune structure n'existe pour les femmes et familles victimes de violence, aucune loi n'est mise en place, même aujourd'hui Poutine ne veut changer d'attitude estimant que l'on ne peut rien faire à l'intérieur des foyers, que ce serait contraire à la culture du pays !
Laura nous interroge sur les héritages culturels, familiaux, sur l'influence des secrets familiaux que l'on porte en soi. Elle nous raconte la Russie, sa différence de culture, la corruption, la vision des choses par rapport au mouvement #metoo, à la libération de la parole. Il y a des contradictions énormes dans ce pays comme par exemple le fait de se sentir complètement en sécurité dans la rue et ce déferlement de violences habituelles, une fois la porte refermée.
Elle nous parle aussi de son amour pour la littérature et les autrices russes qu'elle affectionne comme Anna Akmatova, Marina Tsvetaïeva et d'autres.
L'écriture est d'une grande justesse. C'est bien construit. C'est parfois dur à lire car la réalité dépasse la fiction. Il y a encore tant de choses à lire, un livre qui marque, le plus simple pour vous est de le découvrir d'urgence.
Un livre indispensable dont on parlera beaucoup à cette rentrée.
Un coup de ♥
Les jolies phrases
Mais beaucoup voyaient d'un mauvais oeil tout ce qui ressemblait de près ou de loin à ce qui se pratiquait à l'Ouest. La libération de la parole autour des violences faites aux femmes, le mouvement #Metoo, cétait le symbole de la faillite de l'autorité morale qui menait à leur perte les sociétés occidentales. En Russie, il y avait ce proverbe qui disait "Biot - znatchit lioubit - s'il te bat, c'est qu'il t'aime ", et les proverbes, c'est comme le passé : quand on ne sait plus où on va, on s'y agrippe pour se persuader qu'on est du bon côté.
Pour beaucoup, un meurtre restait un meurtre et une victime de violences avait toujours la possibilité de partir. Les foyers d'accueil sont inexistants, les associations submergées, mais qu'à cela ne tienne: quand on veut, on peut.
La prison vaut mieux que de vivre avec lui. Dix ans de coups, quatorze ans de harcèlement...
Il ne faut surtout pas que le chagrin dépasse, même s'il brûle très fort la gorge, parce que le chagrin c'est comme la peur : quand on le veut vraiment, on peut le garder à l'intérieur.
Dans le débat autour des violences domestiques, il ne fallait pas sous-estimer le refus d'imiter l'Europe et les Etats-Unis, la crainte de voir se diluer la culture russe. L'explosion à l'Ouest des mouvements féministes dénonçant les violences faites aux femmes apparaissait pour beaucoup de Russes comme un phénomène dangereux, ridicule ou tout simplement inintelligible.
Selon un des experts interrogés, le corps judiciaire souscrivait aux stéréotypes qui estimaient qu'« une femme avait toujours une part de responsabilité», que si elle n'acceptait pas la violence, elle pouvait très bien partir, car quand on avait été battue plusieurs fois, il fallait «une autre raison» pour prendre un couteau.
Etre victime, c'est être seule contre une famille qui n'accepte pas qu'on lave son linge sale en public, seule contre la police qui intervient rarement, seule contre ses amies qui disent que son mari la bat parce qu'elle est une mauvaise épouse ou une mauvaise mère», se désolait dans un reportage Aliona Eltsvo, la directrice de Kitej, l'un des rares centres d'accueil pour femmes, qui ne disposait que de cinq chambres dans une maison de campagne.
C'est sûrement enfin parce qu'il les aimait que Mikhail Khatchatourian s'en est pris à ses trois filles. Les douleurs physiques et psychiques infligées par le père pendant des années sont considérées comme des circonstances atténuantes mais on ne peut pas affirmer qu'elles constituent le mobile de l'attaque. Elles ne suffisent donc pas à justifier la prise en compte de la légitime défense.» Les conclusions de l'enquête ont été rendues le 14 juin 2019 près d'un an après le crime: Krestina et Angelina, majeures au moment des faits, devraient être jugées pour «meurtre commis en groupe avec préméditation », un crime passible de huit à vingt ans de prison.
Mais pour les soeurs Khatchatourian comme pour toutes les femmes victimes de violences, on interroge avant toute chose leurs fautes, leurs erreurs, leurs manquements.
La messe du dimanche après-midi, c'est comme les icônes accrochées au-dessus du buffet dans l'entrée : ça recouvre toutes les saletés.
C'est simple la tendresse, les rires, les cheveux qui se mêlent, les mains qui se tiennent, les bras que l'on serre, les baisers que l'on se colle sur les joues. C'est tout simple d'être légères quand on s'aime.
On sait aujourd'hui combien les traumatismes vécus par un peuple, une communauté, une famille, peuvent avoir un impact sur les descendants, sur ceux qui portent d'une façon ou d'une autre cette histoire, même éparpillés sur d'autres continents.
La rapidité à laquelle les médias russes ont repris le titre de la pièce de Tchekhov pour parler des trois soeurs Khatchatourian prouve que leur histoire dépasse de loin le fait divers: elle donne à voir la société russe du début du XXIème siècle, les failles de ses lois. de sa police, de son système juridique. L'affaire questionne la place des femmes et contribuera, je l'espère, à la transformer.