Kamel DAOUD
Actes Sud
Mai, 2014
11,5 x 21,7
160 pages
ISBN 978-2-330-03372-9
prix indicatif : 19, 00€
ISBN 978-2-330-03372-9
prix indicatif : 19, 00€
Prix Liste Goncourt/Le Choix de l'Orient - 2014
Prix des cinq continents de la francophonie - 2014
Prix François-Mauriac - 2014
Prix Liste Goncourt/Le Choix roumain - 2014
L'auteur : Kamel DAOUD
Quatrième de couverture
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après soir, dans un bar d’Oran, il rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d’un dieu, son désarroi face à un pays qui l’a déçu. Étranger parmi les siens, il voudrait mourir enfin…
Hommage en forme de contrepoint rendu à L’Étrangerd’Albert Camus, Meursault, contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l’identité. En appliquant cette réflexion à l’Algérie contemporaine, Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette fois la littérature pour traduire la complexité des héritages qui conditionnent le présent.
Meursault, contre-enquête figure parmi les 25 romans de l'année sélectionnés par les critiques du Point.
Mon avis
L'an dernier j'avais lu l'adaptation BD de L'étranger par Ferrandez (un petit coup de coeur, mon avis est ici) et relu l'original de Camus. Je l'ai repris comme point de départ de cette lecture.
Un livre court mais dense qui pousse à de nombreuses réflexions. L'écriture est sublime, riche et sobre à la fois. Haroun, le narrateur s'adresse à nous à la première personne, il est dans un bar et tutoie son interlocuteur. Il lui raconte l'histoire de la mort de son frère écrite par l'assassin, un certain Meursault qui doit sa liberté à sa plume. Il est clair que la référence est celle de l'oeuvre de Camus.
Il nous raconte son point de vue comme dans un miroir. L'arabe cité à vingt-cinq reprises dans le livre, c'est son frère Moussa qui n'est pas nommé. Ce manque d'identité change TOUT.
Mais au fait, l'étranger c'est qui après l'indépendance en 1963 ?
C'est le problème de l'identité, de la nationalité, héritage du passé et de la colonialisation qui est soulevé.
Haroun a sept ans lorsque son frère est tué, il sera victime vingt ans durant, jusqu'à sa vengeance en 1962, ce meurtre gratuit à l'aube de l'indépendance sera la réponse à sa frustration.
Le récit est défendu avec beaucoup de verve, avec une langue magnifique qui nous amènera à beaucoup de réflexion.
Daoud versus Camus, effet miroir : son héros Meursault/Moussa, les problèmes avec sa mère (son pays ?) , le meurtre gratuit, la solitude.
Un bel hommage à la littérature française.
Un roman sur la recherche de l'identité mais dans lequel il clame sa haine de la religion et l'aveuglement de son peuple dans le refuge de ce Dieu et de sa religion.
Un récit primé à juste titre qui ne pourra vous laisser indifférent.
Ma note : 9.5/10
L'avis de Jostein c'est ici
Les jolies phrases
Le premier savait raconter, au point qu'il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu'il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n'a même pas eu le temps d'avoir un prénom.
Quand les colons s'enfuient, ils nous laissent souvent trois choses : des os, des routes et des mots - ou des morts.
Comme un vrai fils de veilleur de nuit, je dors peu et mal, aujourd'hui encore - je panique à l'idée de fermer les yeux pour tomber je ne sais où sans mon prénom en guise d'ancre. M'ma m'a transmis ses peurs et Moussa son cadavre. Que veux-tu qu'un adolescent fasse, ainsi piégé entre la mère et la mort ?
Etrange histoire tout de même. C'est ton héros qui tue, c'est moi qui éprouve de la culpabilité, c'est moi qui suis condamné à l'errance.
Toi, tu veux retrouver un cadavre, alors que moi je cherche à m'en débarrasser. ... C'est un déni d'une violence choquante, tu ne trouves pas ? Dès que la balle est tirée, le meurtrier se détourne et se dirige vers un mystère qu'il estime plus digne d'intérêt que la vie de l'Arabe. Il continue son chemin, entre éblouissement et martyr. Mon frère Zoudj, lui, est discrètement retiré de la scène et entreposé je ne sais où. Ni vu ni connu, seulement tué. A croire que son corps a été caché par Dieu en personne ! Aucune trace dans les procès-verbaux des commissariats, lors du procès, dans le livre ou dans les cimetières. Rien.
Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C'est comme la négritude qui n'existe que par le regard du Blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. Eux étaient "les étrangers", les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l'épreuve, mais dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l'autre, c'était certain.
J'ai toujours cette impression quand j'écoute réciter le Coran. J'ai le sentiment qu'il ne s'agit pas d'un livre mais d'une dispute entre le ciel et une créature! La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu, à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé.
Les sentiments vieillissent lentement, moins vite que la peau. Quand on meurt à cent ans, on n'éprouve peut-être rien de plus que la peur, qui à six ans, nous saisissait lorsque, le soir, notre mère venait éteindre la lumière.
C'est le génie de ton héros : décrire le monde comme s'il mourait à tout instant, comme s'il devait choisir les mots avec l'économie de sa respiration.
La gratuité de la mort de Moussa était inadmissible. Or ma vengeance venait d'être frappée de la même nullité.
Je ne sais pas pourquoi à chaque fois que quelqu'un pose une question sur l'existence de Dieu, il se tourne vers l'homme pour attendre la réponse.
J'avais refroidi tous les corps de l'humanité en en tuant un seul.
L'auteur nous en parle
Quand les colons s'enfuient, ils nous laissent souvent trois choses : des os, des routes et des mots - ou des morts.
Comme un vrai fils de veilleur de nuit, je dors peu et mal, aujourd'hui encore - je panique à l'idée de fermer les yeux pour tomber je ne sais où sans mon prénom en guise d'ancre. M'ma m'a transmis ses peurs et Moussa son cadavre. Que veux-tu qu'un adolescent fasse, ainsi piégé entre la mère et la mort ?
Etrange histoire tout de même. C'est ton héros qui tue, c'est moi qui éprouve de la culpabilité, c'est moi qui suis condamné à l'errance.
Toi, tu veux retrouver un cadavre, alors que moi je cherche à m'en débarrasser. ... C'est un déni d'une violence choquante, tu ne trouves pas ? Dès que la balle est tirée, le meurtrier se détourne et se dirige vers un mystère qu'il estime plus digne d'intérêt que la vie de l'Arabe. Il continue son chemin, entre éblouissement et martyr. Mon frère Zoudj, lui, est discrètement retiré de la scène et entreposé je ne sais où. Ni vu ni connu, seulement tué. A croire que son corps a été caché par Dieu en personne ! Aucune trace dans les procès-verbaux des commissariats, lors du procès, dans le livre ou dans les cimetières. Rien.
Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C'est comme la négritude qui n'existe que par le regard du Blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. Eux étaient "les étrangers", les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l'épreuve, mais dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l'autre, c'était certain.
J'ai toujours cette impression quand j'écoute réciter le Coran. J'ai le sentiment qu'il ne s'agit pas d'un livre mais d'une dispute entre le ciel et une créature! La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu, à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé.
Les sentiments vieillissent lentement, moins vite que la peau. Quand on meurt à cent ans, on n'éprouve peut-être rien de plus que la peur, qui à six ans, nous saisissait lorsque, le soir, notre mère venait éteindre la lumière.
C'est le génie de ton héros : décrire le monde comme s'il mourait à tout instant, comme s'il devait choisir les mots avec l'économie de sa respiration.
La gratuité de la mort de Moussa était inadmissible. Or ma vengeance venait d'être frappée de la même nullité.
Je ne sais pas pourquoi à chaque fois que quelqu'un pose une question sur l'existence de Dieu, il se tourne vers l'homme pour attendre la réponse.
J'avais refroidi tous les corps de l'humanité en en tuant un seul.
L'auteur nous en parle