KER EDITIONS
264 pagesISBN 978-2-87586-037-8
19x11,5 cm
2014
Nacha…
Elle gardait parfois ma petite fille, quand j’habitais à Mexico, il y a longtemps. Une femme fantasque dont la mère, racontait-elle, avait été recueillie par un lieutenant de Pancho Villa lors de la prise de Zacatecas, en 1914. Une Mexicaine qui vivait à travers les héros de ses romans préférés, et revivait sans cesse son film fétiche, L’Année dernière à Marienbad. Une fille du peuple qui disait avoir été poignardée dans le dos et porter un trait noir sur l’âme.
2004. Les histoires de Nacha me hantent : je pars la retrouver.
Mon avis
Une belle découverte chez Ker Editions. Un parcours de femme attachant.
"Pueblo sous titré Roman Boléro"
Le boléro mexicain c'est à dire de petites tragédies mises en musique ou des chansons racontant des amours ratés.
Suivons ensemble le parcours de Nacha et son amour spécial.
La narratrice a fait connaissance avec Nacha , indienne mexicaine, en 1977 à l'occasion d'un baby-sitting pour sa fille à Mexico. A l'époque elles se sont côtoyées très souvent. Nacha est une femme fantasque racontant des histoires, celles de sa pauvre et riche vie - oui vous allez comprendre de suite - mais aussi des histoires imaginaires.
La vie les a séparées, et en juillet 93, elle reçoit une lettre l'invitant à la rejoindre à Real de Catorce. C'est en cassant un bougeoir offert par Nacha que des années plus tard, les souvenirs et images défilant dans sa mémoire, que la narratrice décide d'entreprendre le voyage et de repartir sur les traces de Nacha. Nous sommes alors en 2004.
Commence alors une véritable quête, la narratrice repart sur les traces de Nacha en se remémorant leurs rencontres de 1977/78 et 1993. Le livre est un peu "décousu" au niveau chronologique, on voyage d'une époque à l'autre, ce qui désarçonne juste un peu au début de la lecture mais très vite on ne s'en rend plus compte et cela devient même indispensable pour comprendre l'histoire de la vie de Nacha.
Au fil de courts chapitres, le lecteur retrace et suit la chronologie de la vie de Nacha.
Un livre magnifique à l'écriture envoûtante qui nous fait découvrir les paysages du Mexique. Les descriptions sont magnifiques, on a l'impression d'être au cinéma tant les images défilent dans votre esprit mais aussi une partie de son histoire.
En effet, Nacha n'est autre que la petite fille de Tomasita, qui à l'époque de la prise de Zacatecas en 1914 fut sauvée par le général Pancho Villa. Nacha est déchirée par l'amour. Mariée très jeune à l'âge de quinze ans à José-Jésus, mère déchirée, elle va tout faire pour le bonheur de ses enfants. Cette petite bonne femme aux origines indiennes, marchande de fleurs puis blanchisseuse.
L'écriture titillera vos pailles gustatives également car la nourriture et gastronomie sont bien présentes.
La condition de la femme au Mexique, sa misère mais aussi la volonté de s'en sortir, de passer outre de tout pour le seul bonheur de ses enfants, le sacrifice, l'évasion par le rêve - Charlotte et Maximilien, la lecture (Romain du Gard) - et le cinéma avec "L'été dernier à Marienbad"
Une belle et forte personnalité que celle de Nacha, la généreuse, pourtant répudiée, reniée. Un parcours de femme difficile dans ce beau Mexique.
Les dialogues sont forts, naturels, enrichis d'expressions espagnoles, sous fond sonore de boléro.
Une très très belle découverte dont j'aimerais encore vous dire beaucoup de choses mais je pense qu'il faut que je m'arrête pour ne pas en dire trop et vous permettre de découvrir par vous-même cette très belle plume, ce style magnifique. Faites le voyage sans plus attendre.
Ma note 9/10
Les jolies phrases
Ce qui devrait provoquer en moi
un malaise éveille plutôt une exaltation diffuse : en chaos, une multitude
d’images viennent se chevaucher, des conversations jadis suspendues reprennent,
je retrouve peu à peu, un ancien domaine, un jardin non pas oublié, mais
endormi, laissé en friches.
Achetez-moi du rêve en
couleur ! Est-ce vraiment d’un monde si serein que j’ai le souvenir ?
Ca ne s’apprend pas. Ca pousse en dedans de toi, c’est un
soulèvement qui couve et finit par éclater.
Tu te dis en toi-même ; ça c’est à faire ou bien ça je n’en veux
pas, je ne le ferai pas, jamais, plutôt la mort.
Quelqu’un te dit :
"Va-t’en !" , te montre la porte, et tu ressens ce que tu
vaux aux yeux des autres. Rien. Et de ça, tu ne te remets pas, tu te lo llevas
en el alma, tu l’as sur l’âme comme un trait noir et ça ne s’efface pas : on t’a biffée, rayée. Que se chingue ese maldito chico !
Le prix à payer, le plus cher,
elle le pressent, est celui des sentiments.
On meurt comme on a vécu, par où
on a péché, de la vie qu’on a choisie… Non.
On meurt d’usure, de la vie à laquelle on a été condamné.
Une femme qu’un homme a quittée
est un sujet de honte, elle va tête basse.
Mais quand elle retrousse ses manches et va la tête haute, c’est une
femme calomniée. Et le voisinage murmure.
…l’air de dire que la vie danse,
même en pleine tragédie, que la vie prend les détours qui lui conviennent,
qu’on n’en tient jamais les rênes .
Si ce n’est par amour pour lui
que vous vous êtes abaissée à venir me
trouver, n’oubliez jamais que c’est par amour pour vous qu’il se sera abaissé à
dérober ces chaussures, pour être à la hauteur de vos sentiments.
Elle évoque à nouveau les
occasions qui auraient pu être saisies , que l’on a tenues et lâchées. Ce qu’on aurait pu vivre et qu’on a pas
vécu. Et qui, parfois, marque plus
profondément de ce qui a été, blesse et laisse ouvertes des plaies.
Mais comment deviner ce que nous
réservent les intrigues de la vie ?
Ses déflagrations ne nous atteignent qu’à retardement...
Pour la troisième fois Nacha se
heurte à l’intolérable. Jamais je
n’avais compris de façon aussi poignante que sa vie se résumait à trois
« Vete ! » Chassée par l’un, écartée du revers de la main par
l’autre, décrétée indésirable enfin repoussée à trois reprises, par les trois
personnes en qui elle avait placé tous ses espoirs.
Tu crois que le ciel du Mexique
s’étend à perte de vue, si tranquille, que devant toi il y a des millions de
vie que tu pourrais vivre et d’un instant à l’autre, il n’y en a plus qu’un
"Et tu y es condamnée. Songes-y" .
"C'est ce qu'on se doit à soi-même qu'on paie." Quel impardonnable manquement estimait-elle avoir commis envers elle-même? Celui d'avoir scellé un jour un pacte avec un vieillard ? Ou celui d'avoir vu clair dans le jeu du vieillard et d'avoir fermé les yeux ?
"C'est ce qu'on se doit à soi-même qu'on paie." Quel impardonnable manquement estimait-elle avoir commis envers elle-même? Celui d'avoir scellé un jour un pacte avec un vieillard ? Ou celui d'avoir vu clair dans le jeu du vieillard et d'avoir fermé les yeux ?
Morte, inconsolée, de
dépit…. Dans un couvent de Zacatecas,
morte de quelque chose s’apparentant à la peine d’avoir à vivre envers et
contre les illusions de ses quinze ans. La
peine de n’avoir pas vécu ce qui aurait dû l’être.
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