samedi 15 août 2015

Sorbet d'abysses Véronique Emmenegger ****

Sorbet d'abysses    
            Véronique Emmenegger




Luce Wilquin
Sméraldine
14 x 20,5 cm
 272 pages
Parution 10/04/2015
ISBN 978-2-88253-503-0
EUR 21.-



L'auteure

Véronique Emmenegger


Née en 1963, Véronique Emmenegger passe les quatre premières années de sa vie à suivre son père voyageur. Installée en Suisse, elle gagne à dix-neuf ans un concours de jeunes reporters à l’Hebdo et devient journaliste. Les événements s’enchaînent et son premier livreMademoiselle Faust, rue des longs manteaux, sans rien dessous, un récit sur l’adolescence, voit le jour en 1987 ainsi que Les Bouches sur le thème de la boulimie et l’amour dévorant, en 1992. Un projet commun avec le photographe Pierre-Antoine Grisoni sur le thème de la précarité Richesse invisible est publié en 2009. SuiventFringales, un recueil sur les vêtements, sorte de cabine d’essayage sensible (2010) et Cœurs d’assaut, l’histoire d’un abandon à rebondissements (2013). Sorbet d'Abysses est son dernier roman (2015)

Source : La maison éclose  projet d'écrivains



Avis de l'éditeur


Lorsque la famille du brillant philosophe Égault Lévy apprend qu’il est atteint d’une maladie de démence, le monde manque de s’écrouler. Shirley, sa femme soumise, ainsi que ses trois enfants sortent alors de leurs retranchements. Subir ou ne pas subir ? Accepter ou se révolter ? Chacun va être invité à modifier sa façon de voir la vie face à cette descente dans les entrailles de la mémoire et du langage. La maladie cache dans ses souffrances des portes de sortie étonnantes.
Scènes cocasses, éclats de bonheur, de rire… Une remise en question salutaire face à la débandade du langage et de la mémoire.


Mon avis


Egault (Ego car centré sur lui-même) est la vedette, orateur hors pair, philosophe donnant des conférences partout dans le monde.  Il a l’habitude qu’on l’écoute et c’est pareil à la maison.  Il y règne en dictateur, tyrannique, handicapé du cœur.

Shirley sa femme de quinze ans sa cadette, était âgée de 18 ans lorsqu’elle a croisé son chemin à l’université.  Elle est devenue son assistante et sa femme, c’était plus pratique.  Elle est soumise, sous son emprise, elle est la protectrice de leurs trois enfants.

Donatien : 26 ans, effacé, irrécupérable de la société pour son père car il préférait lire des bd plutôt que les livres de philo achetés par son père.  Il est prof de français.

Sixtine : 24 ans, fait des études de médecine.  C’est la sacrifiée, celle qui a appris à vivre par l’injustice (méthode d’éducation d’Egault)

Olga : 18 ans, la préférée, la confidente de son père mais aussi devenue l’insoumise, attirée par l’Afrique et les Beaux- Arts.

Voilà le portrait de la famille mais tout va basculer.

D’entrée de jeu sans ménagement, le docteur Crohn annonce à Shirley et Egault qu’il est atteint d’une maladie dégénérative de la mémoire et du langage, du type Alzheimer ou Parkinson. 
Shirley collationne ses souvenirs qui malheureusement corroborent ces dires.

Egault réfute la situation, il est dans le déni le plus grand.  Ce n’est pas possible, il a une mémoire d’acier, un QI élevé, c’est une erreur et continue ses activités comme si de rien n’était …mais petit à petit arrivent des incidents.

Shirley doit prévenir ses enfants de la situation.    C’est là que cela devient intéressant car Véronique Emmenegeer axe son récit non pas sur la maladie mais surtout sur les conséquences de celle-ci sans l’entourage familial.  Sur la façon dont chacun va vivre la situation, se remettre en question et sa prise de conscience.

Shirley se remettra en question en comprenant qu’au final le bonheur n’était pas toujours au rendez-vous.  Comment réagira-t-elle ?  Et les enfants ?, comment réagir face à ce père qui a toujours été égoïste, centré sur lui-même, froid.

L’écriture de Véronique Emmenegeer n’est pas non plus sans humour, certaines situations devenant carrément drôles.  Le récit est bien documenté sur l’évolution de la maladie, il projette chacun dans les réactions que nous pourrions avoir, pas pathos du tout, il décrit simplement la vrai vie.  Un récit sur le deuil des mots, touchant, mordant, féroce aussi.


Un livre marquant sur un sujet universel.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Ce qu'il faut savoir est simple c'est une maladie qui dure longtemps et à laquelle on a donc tout loisir de s'acclimater.

Excellente lectrice, Shirley préférait la compagnie des livres à celle des humains, se retranchant derrière les paravents souples mais efficaces des pages.

Et philosophe, ça n'est pas un métier non plus ! Penser, c'est tricoter avec du vent ...

Puisque c'est une souffrance sans espoir de guérison, elle peut être rangée dans les maladies du désespoir.  Je suis en train de te perdre et je le sais même si paradoxalement tu ne le sais pas.  Tu vas t'éloigner chaque jour.  Tu resteras avec nous jusqu'au moment où tu ne le pourras plus.  Tu iras dans un hôtel aseptisé où il y a des codes partout pour que tu ne puisses pas t'échapper.  Une geôle capitonnée pour que tu ne te fasses pas mal, une prison avec d'autres perdus comme toi, même qu'on les trouvera pires que toi et qu'on pensera naïvement que là-bas n'est pas ta place.

C'est tout simplement que la maladie avance.  Le vêtement endossé par le sujet attaqué s'avère bouffé aux mites.  Tranquillement, les mercenaires nanoscopiques grignotent dans l'ombre.  Les trous ne se voient pas tout de suite et quand on veut remettre ledit costume, on se rend compte qu'il ressemble à une passoire souple.  Le cerveau perd des billes molles, la puissance s'ankylose sans espoir de rémission.

A ses yeux, la meilleure façon de se protéger de l'injustice était de la vivre préventivement.

Cacher-mentir ou montre-trahir, le choix s'apparente à un tiraillement proche du supplice.

Ses phrases n'en sont plus, elles ressemblent de plus en plus à des troncs coupés qu'à de véritables branches porteuses.

L'intolérance des parents est le plus grand crime au monde et le seul dont on ne parle pas.

Elle veut désormais vivre sa vie et décider de ce qui la remplit.  Egault peut grincer, pester, menacer, elle ne pliera pas.

La maladie est un isoloir, elle met la personne atteinte d'un côté et les proches de l'autre.  La démence enferme, on a beau voir le paysage à travers la herse de fer forgé, les murs se resserrent comme une main avide qui reprendrait ses billes.

L'inconnu ne fait plus peur dans la mesure où il est toujours connu de quelqu'un d'autre.  Il suffit de se relier à ce quelqu'un d'autre-là pour que l'angoisse  s 'estompe.

C'est fou comme la joie des uns ternit parfois celle des autres.

Quelqu'un qui vous quitte vous rend votre liberté et vous permet de vivre autre chose.

La maladie est une éponge à double face, elle emporte dans son écume pâle les bonnes choses comme les mauvaises, Missoula, en premier, qui s'est évanouie dans les limbes, mais aussi la totalité de son savoir.

p 162


En partenariat avec Les Editions Luce Wilquin que je remercie.







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