Sorj Chalandon
Grasset
Parution : 19/08/2015
Pages : 320
Format : 142 x 205 mm
Prix : 19.00 €
EAN : 9782246857136
Avis de l'éditeur
« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. »
Mon avis
Sorj Chalandon nous conte l'histoire d'Emile Choulans, en réalité c'est sa propre enfance qu'il nous offre dans ce récit magnifique et emprunt d'émotions.
Enfant, en début d'année scolaire, il était toujours demandé : nom, prénom, profession du père. Sorj ou Emile ne l'a jamais connue. C'est troublant et difficile d'imaginer cela. Pour Emile, son père était tour à tour ; chanteur, pasteur pentecôtiste, agent secret, prof de judo, membre de l'OAS, ... metteur en scène.
Cela se passe dans les années soixante, de Gaulle a "trahi" les français en rendant l'Algérie. Son père vit par procuration de papier, il vit l'actualité de l'intérieur, il affabule et manipule son fils.
Emile a foi en son père, il a besoin d'être aimé, de lui plaire, d'avoir sa reconnaissance et c'est pourquoi il se laisse malgré lui emporter dans le délire paternel. Il participera avec lui à diverses missions de l'O.A.S., il déposera des lettres de menaces, inscrira le nom de l'OAS à divers endroits, cachera des résistants, il sera réveillé en pleine nuit pour parfaire son entraînement (marche forcée dans sa chambre, pompes...), un entraînement frisant la torture, convaincu qu'il faut une certaine condition pour mener à bien la mission : tuer le général de Gaulle.
Son père l'emmènera dans sa névrose, son délire et Emile complètement sous le joug entraînera à son tour son ami Luca.
Vivre ces scénarios aurait pu être formidable, magnifique , son père mettant en scène son délire et entraînant au sens propre comme au sens figuré son fils dans la vie d'agent secret mais malheureusement il y a cette violence cette cruauté, punir son fils avec un martinet acheté de son propre argent, l'enfermer dans un placard, d'atroces punitions, exercices physiques.... Ce fantasque manipulateur, tyrannique et pervers...
Ajoutez à cela la passivité de sa mère, le déni, l'isolement car ils vivaient en vase clos, comme une secte, jamais personne ne leur rendait visite, c'était une prison même les grands-parents ne venaient pas....
Que d'émotions contradictoires à la lecture de ce récit. On passe grâce à l'imaginaire débordant du père, à vivre des choses incroyables, des situations frisant la comédie à la tragédie causée par cette violence, cette domination du père névrosé par le mensonge, la maltraitance.
Les mots sont justes, percutants. C'est l'écriture de l'espoir, de l'amour,de l'admiration mais aussi de la peur et de cette soumission. L'écriture est intime, puissante, simple et sincère. La force du récit pour moi est que c'est le regard porté par l'enfant qui nous est conté et non par l'adulte qu'il est aujourd'hui.
Ce récit semble incroyable, j'aurais tant aimé une rébellion. A défaut, Emile s'échappe grâce au dessin et la peinture aveuglé par l'amour des siens. Troublant, touchant, magnifique.
Ma note : 9/10
Les jolies phrases
On parle des choses tant qu'elles n'arrivent pas. Et lorsqu'on est sur le seuil, au moment de faire le pas, on se tait.
Je pleurais de douleur après les coups de colère, aussi. Mais jamais de détresse. Le désespoir ne faisait pas partie de la sanction.
Il riait. Ce médecin était un charlatan. Incompétent comme tous les médecins, menteur comme les journalistes, voleur comme les ministres.
Elle m'observait en secret. Une tristesse, une pluie d'automne, une colère brutale, une émotion trop vive, une larme de Noël, un regard battu. Elle leur en voulait de m'avoir abîmé.
Personne d'autre que le père et le fils. Le chef et son soldat à l'heure de la défaite.
Et il me faisait payer ce que je n'étais pas.
Ils m'avaient oublié. Ils avaient laissé ma vie derrière eux.
La peur lui était étrangère, dégoûtante. Il avait de l'aversion pour les faibles, pour tous ceux qui baissaient les yeux. Et voilà que ses mots transpiraient l'épouvante. Quelque chose était en train de naître, qui ressemblait à sa fin.
Pour la première fois, j'ai fait l'inventaire de ma petite vie. Mes vêtements tenaient dans une penderie et trois tiroirs. J'avais deux paires de chaussures, un manteau, quelques livres et une valise. Je n'avais plus rien, ni personne.
Ma mère me regardait. Elle ne disait rien. Elle écoutait le drame de sa vie comme on assiste à l'accident d'une autre.
Quelque chose avait changé dans la pièce, dans mon coeur. Une fenêtre invisible s'était ouverte, laissant entrer le vent, l'hiver, le froid, le soulagement, surtout. J'avais la main sur mon inhalateur, mais je respirais normalement. J'avais mis des mots sur mon silence. Et j'avais été entendu.
Je pleurais de douleur après les coups de colère, aussi. Mais jamais de détresse. Le désespoir ne faisait pas partie de la sanction.
Il riait. Ce médecin était un charlatan. Incompétent comme tous les médecins, menteur comme les journalistes, voleur comme les ministres.
Elle m'observait en secret. Une tristesse, une pluie d'automne, une colère brutale, une émotion trop vive, une larme de Noël, un regard battu. Elle leur en voulait de m'avoir abîmé.
Personne d'autre que le père et le fils. Le chef et son soldat à l'heure de la défaite.
Et il me faisait payer ce que je n'étais pas.
Ils m'avaient oublié. Ils avaient laissé ma vie derrière eux.
La peur lui était étrangère, dégoûtante. Il avait de l'aversion pour les faibles, pour tous ceux qui baissaient les yeux. Et voilà que ses mots transpiraient l'épouvante. Quelque chose était en train de naître, qui ressemblait à sa fin.
Pour la première fois, j'ai fait l'inventaire de ma petite vie. Mes vêtements tenaient dans une penderie et trois tiroirs. J'avais deux paires de chaussures, un manteau, quelques livres et une valise. Je n'avais plus rien, ni personne.
Ma mère me regardait. Elle ne disait rien. Elle écoutait le drame de sa vie comme on assiste à l'accident d'une autre.
Quelque chose avait changé dans la pièce, dans mon coeur. Une fenêtre invisible s'était ouverte, laissant entrer le vent, l'hiver, le froid, le soulagement, surtout. J'avais la main sur mon inhalateur, mais je respirais normalement. J'avais mis des mots sur mon silence. Et j'avais été entendu.
2 commentaires:
Bel article et les citations bien choisies !
un livre très fort!
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