Ceux qui partent - Jeanne Benameur
Actes Sud
Parution : 21 août 2019
Pages : 336
Isbn : 9782330124328
Prix : 21 €
Présentation de l'éditeur
Il y a Donato et sa fille Emilia, les lettrés italiens, Gabor, l’homme qui veut fuir son clan, Esther, l’Arménienne épargnée qui rêve d’inventer les nouvelles tenues des libres Américaines.
Retenus un jour et une nuit sur Ellis Island, les voilà confrontés à l’épreuve de l’attente. Ensemble. Leurs routes se mêlent, se dénouent ou se lient. Mais tout dans ce temps sus pendu prend une intensité qui marquera leur vie entière.
Face à eux, Andrew Jónsson, New-Yorkais, père islandais, mère fière d’une ascendance qui remonte aux premiers pionniers. Dans l’objectif de son appareil, ce jeune photographe amateur tente de capter ce qui lui échappe depuis toujours, ce qui le relierait à ses ancêtres, émigrants eux aussi. Quelque chose que sa famille riche et oublieuse n’aborde jamais.
Avec lui, la ville-monde cosmopolite et ouverte à tous les progrès de ce XXe siècle qui débute.
L’exil comme l’accueil exigent de la vaillance. Ceux qui partent et ceux de New York n’en manquent pas. À chacun dans cette ronde nocturne, ce tourbillon d’énergies et de sensualité, de tenter de trouver la forme de son exil, d’inventer dans son propre corps les fondations de son nouveau pays. Et si la nuit était une langue, la seule langue universelle ?
“ Quand j’écris un roman, j’explore une question qui m’occupe tout entière. Pour Ceux qui partent, c’est ce que provoque l’exil, qu’il soit choisi ou pas. Ma famille, des deux côtés, vient d’ailleurs. Les racines françaises sont fraîches, elles datent de 1900. J’ai vécu moi-même l’exil lorsque j’avais cinq ans, quittant l’Algérie pour La Rochelle.
Après la mort de ma mère, fille d’Italiens émigrés, et ma visite d’Ellis Island, j’ai ressenti la nécessité impérieuse de reconsidérer ce moment si intense de la bascule dans le Nouveau Monde. Langue et corps affrontés au neuf. J’étais enfin prête pour ce travail.
Je suis partie en quête de la révolution dans les corps, dans les cœurs et dans les têtes de chacun des personnages car c’est bien dans cet ordre que les choses se font. La tête vient en dernier. On ne peut réfléchir sa condition nouvelle d’étranger qu’après. Le roman permet cela. Avec les mots, j’ai gagné la possibilité de donner corps au silence.
Sexes, âges, origines différentes. Aller avec chacun jusqu’au plus profond de soi. Cet intime de soi qu’il faut réussir à atteindre pour effectuer le passage vers l’ailleurs, vers le monde. Chaque vie alors comme une aventure à tenter, précieuse, imparfaite, unique. Chaque vie comme un poème.
J’ai choisi New York en 1910 car ce n’est pas encore la Première Guerre mondiale mais c’est le moment où l’Amérique commence à refermer les bras. Les émigrants ne sont plus aussi bienvenus que dix ans plus tôt. L’inquiétude est là. Et puis c’est une ville qui inaugure. Métro, gratte-ciels… Une ville où les femmes seraient plus libres que dans bien des pays d’Europe. Cette liberté, chacun dans le roman la cherche. Moi aussi, en écrivant.
Dans ce monde d’aujourd’hui qui peine à accueillir, notre seule vaillance est d’accepter de ne pas rester intacts. Les uns par les autres se transforment, découvrent en eux des espaces inexplorés, des forces et des fragilités insoupçonnées. C’est le temps des épreuves fertiles, des joies fulgurantes, des pertes consenties.
C’est un roman et c’est ma façon de vivre.”
JB
L'auteure
Portrait © Patrice Normand, 2015
Entre le roman et la poésie, le travail de Jeanne Benameur se déploie et s'inscrit dans un rapport au monde et à l'être humain épris de liberté et de justesse.
Une œuvre essentiellement publiée chez Actes sud pour les romans. Dernièrement : Profanes (2013, grand prix du Roman RTL/Lire), Otages intimes(2015, prix Version Femina 2015, prix Libraires en Seine 2016) ou L'enfant qui(2017).
Source : Actes Sud
Mon avis
Ceux qui partent, c'est l'histoire d'une poignée d'émigrants ayant fait le choix en 1910 de venir vivre en Amérique, mus par un sentiment d'espoir et de liberté. Vivre une autre vie, reconstruire pour certains, s'épanouir et se révéler pour d'autres, vivre leurs rêves.
A l'arrivée sur le bateau, un jeune étudiant en droit; Andrew Jonsson les photographie. Avec son objectif, il capte l'instant présent, et donne une émotion à ces photos. Il est passionné par l'arrivée de ces émigrants et recherche sans doute un peu de ses origines, des émotions connues par son père et sa grand-mère arrivés bien des années plus tôt car il est islandais d'origine. Il aime entendre la langue de sa grand-mère, sa langue.
Son père Sigmundur a épousé Elisabeth, il a réussi ici en quittant la pauvreté de son pays.
Elisabeth est obsédée par l'idée de marier son fils, elle aimerait qu'Andrew prenne la suite de son père mais il cherche autre chose, ses racines... Il est lui hanté par l'image de Rosalind, la petite soeur de son père, décédée là-bas en Islande, elle n'a jamais connu ce pays.
Il a photographié Emilia l'italienne et son père Donato Scarpa. Elle est peintre, elle enseignera aux enfants et est déterminée à être libre et vivre de sa passion. Son père, lui est acteur de théâtre, il ne quitte jamais son livre talisman, c'est "L'énéide" le livre dans lequel il trouve la force de mener cet exil.
Autre personnage important; Gabor et son violon et Esther Agakian, l'arménienne qui a tout perdu.
L'arrivée sur Ellis Island est difficile, ils sont plus de 5000 à attendre les formalités, traités de façon inhumaine. Ils passeront la nuit sur l'île, une nuit d'introspection, à la découverte de leur intime, à la découverte aussi des plaisirs de la chair pour certains.
C'est un très beau récit tourné sur l'intime, partir c'est bien mais on laisse tant de choses derrière soi. Chacun vit son exil à sa façon, dans sa tête, dans son coeur et dans son corps. La découverte du plaisir charnel, c'est de l'abandon mais aussi cette soif de liberté, d'espoir, de renaissance, de découvertes.
La langue aussi est essentielle, elle fait partie de nos fondations, comme son corps. La langue étrange dans la bouche de l'autre.. Et si la nuit était une langue universelle.
Un récit profond, une langue magnifique, poétique. Les mots extrêmement bien choisis. Une plume juste, introspective, superbe.
J'ai aimé le parallèle avec "L'Enéide", Énée étant exilé lui aussi, la force des mots qui captivent, qui rassurent, qui guident dans le chef de Donato.
Un très beau roman, celui par lequel je découvre la plume de Jeanne Benameur, que j'avais envie de lire depuis très longtemps, deux de ses romans m'attendent dans ma PAL.
Ma note : 8.5/10
Les jolies phrases
Comme les grands oiseaux qui vont chercher l'asile propice pour faire leur nid, ils sont partis mais les hommes n'ont pas la liberté des ailes. La nature ne les a pas pourvus pour se déplacer au-dessus des mers et des terres. Il leur faut faire confiance à d'autres hommes pour être transportés.
Quand le vent attise un feu de forêt l'été, les gens luttent tous ensemble comme on élève des digues contre les crues des fleuves. Mais quand ce sont d'autres êtres humains qui apportent la mort et la destruction, on est atteint au plus profond de soi parce qu'on est humain aussi.
L'ancienne vie avec ses douceurs, ses lenteurs et sa bonne sécurité connues est encore là, dans sa poitrine. La nouvelle confuse, ignorée, toute confiée au rêve encore, cherche à prendre place.
Est-ce que toute sa vie désormais sera soumise aux deux envies contraires ? C'est cela alors "émigrer". On n'est plus jamais vraiment un à l'intérieur de soi.
Et lui même, Donato est seul, sur le rivage où l'on abandonne tous ceux qu'on a aimés et qu'il faut quitter. Car émigrer, c'est laisser les ancêtres et ceux qu'on a aimés ans une terre où l'on ne retournera pas.
Les hommes cherchent leur vie ailleurs quand leur territoire ne peut plus rien pour eux, c'est comme ça. Il faut savoir préparer les bateaux quand le vent souffle et que les présages sont bons. Tarder c'est renoncer.
Le violon dit qu'émigrer c'est espérer encore.
Avec vaillance.
Avec la force de ceux qui n'ont plus rien que leur désir.
Le violon dit que le désir est tout. Tout. Et qu'avec le désir on peut vivre. Il chasse le marasme de l'attente et de la peur de tout ce qui les guette, dans quelques heures, dans quelques jours. Il dit que chacun a dans le coeur le souvenir de jours heureux, de ceux qu'on veut revivre de toute son âme quelque part : Ailleurs. Et qu'importe que la terre soit aride et le regard des gens encore soupçonneux.
On émigre : on espère.
Parler sa langue c'est vivre avec soi-même, bien présent dans le monde. Et c'est bâtir comme une chaude maison autour de soi et de celui avec qui on parle.
Que sommes-nous devenus pour que d'autres humains aient le pouvoir de nous ouvrir un pays ou de nous renvoyer là où il n'y a plus de "chez nous" ? C'est quoi une frontière ?
Le temps parfois rassemble dans le même sablier tant de choses éparses. On pourrait fermer le poing pour retenir les grains de sable mais on sait bien que rien ne se retient entre nos doigts.
Est-ce que la nuit est une langue ? La seule langue que les corps ont tous en commun. Celle que personne n'a besoin d'apprendre. C'est le jour seulement que les langues des pays reprennent leur place et nous séparent.
Il a su acheter et vendre. Il a su parler aux gens, les écouter et comprendre à demi-mot ce qu'ils voulaient. Le commerce, c'est ça. C'est apprendre à connaître le désir de quelqu'un. Et après tout, il en avait fait son art.
Doit-on tout avoir de celui qu'on aime? Doit-on accéder à son être tout entier ? est-ce que l'amour ne peut pas accepter la part manquante ?
Les émigrants ne cherchent pas à conquérir le plus profond d'eux-mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsqu'on quitte tout.
L'auteure
Portrait © Patrice Normand, 2015
Entre le roman et la poésie, le travail de Jeanne Benameur se déploie et s'inscrit dans un rapport au monde et à l'être humain épris de liberté et de justesse.
Une œuvre essentiellement publiée chez Actes sud pour les romans. Dernièrement : Profanes (2013, grand prix du Roman RTL/Lire), Otages intimes(2015, prix Version Femina 2015, prix Libraires en Seine 2016) ou L'enfant qui(2017).
Source : Actes Sud
Mon avis
Ceux qui partent, c'est l'histoire d'une poignée d'émigrants ayant fait le choix en 1910 de venir vivre en Amérique, mus par un sentiment d'espoir et de liberté. Vivre une autre vie, reconstruire pour certains, s'épanouir et se révéler pour d'autres, vivre leurs rêves.
A l'arrivée sur le bateau, un jeune étudiant en droit; Andrew Jonsson les photographie. Avec son objectif, il capte l'instant présent, et donne une émotion à ces photos. Il est passionné par l'arrivée de ces émigrants et recherche sans doute un peu de ses origines, des émotions connues par son père et sa grand-mère arrivés bien des années plus tôt car il est islandais d'origine. Il aime entendre la langue de sa grand-mère, sa langue.
Son père Sigmundur a épousé Elisabeth, il a réussi ici en quittant la pauvreté de son pays.
Elisabeth est obsédée par l'idée de marier son fils, elle aimerait qu'Andrew prenne la suite de son père mais il cherche autre chose, ses racines... Il est lui hanté par l'image de Rosalind, la petite soeur de son père, décédée là-bas en Islande, elle n'a jamais connu ce pays.
Il a photographié Emilia l'italienne et son père Donato Scarpa. Elle est peintre, elle enseignera aux enfants et est déterminée à être libre et vivre de sa passion. Son père, lui est acteur de théâtre, il ne quitte jamais son livre talisman, c'est "L'énéide" le livre dans lequel il trouve la force de mener cet exil.
Autre personnage important; Gabor et son violon et Esther Agakian, l'arménienne qui a tout perdu.
L'arrivée sur Ellis Island est difficile, ils sont plus de 5000 à attendre les formalités, traités de façon inhumaine. Ils passeront la nuit sur l'île, une nuit d'introspection, à la découverte de leur intime, à la découverte aussi des plaisirs de la chair pour certains.
C'est un très beau récit tourné sur l'intime, partir c'est bien mais on laisse tant de choses derrière soi. Chacun vit son exil à sa façon, dans sa tête, dans son coeur et dans son corps. La découverte du plaisir charnel, c'est de l'abandon mais aussi cette soif de liberté, d'espoir, de renaissance, de découvertes.
La langue aussi est essentielle, elle fait partie de nos fondations, comme son corps. La langue étrange dans la bouche de l'autre.. Et si la nuit était une langue universelle.
Un récit profond, une langue magnifique, poétique. Les mots extrêmement bien choisis. Une plume juste, introspective, superbe.
J'ai aimé le parallèle avec "L'Enéide", Énée étant exilé lui aussi, la force des mots qui captivent, qui rassurent, qui guident dans le chef de Donato.
Un très beau roman, celui par lequel je découvre la plume de Jeanne Benameur, que j'avais envie de lire depuis très longtemps, deux de ses romans m'attendent dans ma PAL.
Ma note : 8.5/10
Les jolies phrases
Comme les grands oiseaux qui vont chercher l'asile propice pour faire leur nid, ils sont partis mais les hommes n'ont pas la liberté des ailes. La nature ne les a pas pourvus pour se déplacer au-dessus des mers et des terres. Il leur faut faire confiance à d'autres hommes pour être transportés.
Quand le vent attise un feu de forêt l'été, les gens luttent tous ensemble comme on élève des digues contre les crues des fleuves. Mais quand ce sont d'autres êtres humains qui apportent la mort et la destruction, on est atteint au plus profond de soi parce qu'on est humain aussi.
L'ancienne vie avec ses douceurs, ses lenteurs et sa bonne sécurité connues est encore là, dans sa poitrine. La nouvelle confuse, ignorée, toute confiée au rêve encore, cherche à prendre place.
Est-ce que toute sa vie désormais sera soumise aux deux envies contraires ? C'est cela alors "émigrer". On n'est plus jamais vraiment un à l'intérieur de soi.
Et lui même, Donato est seul, sur le rivage où l'on abandonne tous ceux qu'on a aimés et qu'il faut quitter. Car émigrer, c'est laisser les ancêtres et ceux qu'on a aimés ans une terre où l'on ne retournera pas.
Les hommes cherchent leur vie ailleurs quand leur territoire ne peut plus rien pour eux, c'est comme ça. Il faut savoir préparer les bateaux quand le vent souffle et que les présages sont bons. Tarder c'est renoncer.
Le violon dit qu'émigrer c'est espérer encore.
Avec vaillance.
Avec la force de ceux qui n'ont plus rien que leur désir.
Le violon dit que le désir est tout. Tout. Et qu'avec le désir on peut vivre. Il chasse le marasme de l'attente et de la peur de tout ce qui les guette, dans quelques heures, dans quelques jours. Il dit que chacun a dans le coeur le souvenir de jours heureux, de ceux qu'on veut revivre de toute son âme quelque part : Ailleurs. Et qu'importe que la terre soit aride et le regard des gens encore soupçonneux.
On émigre : on espère.
Parler sa langue c'est vivre avec soi-même, bien présent dans le monde. Et c'est bâtir comme une chaude maison autour de soi et de celui avec qui on parle.
Que sommes-nous devenus pour que d'autres humains aient le pouvoir de nous ouvrir un pays ou de nous renvoyer là où il n'y a plus de "chez nous" ? C'est quoi une frontière ?
Le temps parfois rassemble dans le même sablier tant de choses éparses. On pourrait fermer le poing pour retenir les grains de sable mais on sait bien que rien ne se retient entre nos doigts.
Est-ce que la nuit est une langue ? La seule langue que les corps ont tous en commun. Celle que personne n'a besoin d'apprendre. C'est le jour seulement que les langues des pays reprennent leur place et nous séparent.
Il a su acheter et vendre. Il a su parler aux gens, les écouter et comprendre à demi-mot ce qu'ils voulaient. Le commerce, c'est ça. C'est apprendre à connaître le désir de quelqu'un. Et après tout, il en avait fait son art.
Doit-on tout avoir de celui qu'on aime? Doit-on accéder à son être tout entier ? est-ce que l'amour ne peut pas accepter la part manquante ?
Les émigrants ne cherchent pas à conquérir le plus profond d'eux-mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsqu'on quitte tout.
2 commentaires:
Une auteure que j'aime beaucoup, un sujet qui m'attire… et, pour une fois, beaucoup de pages : c'est noté !!!!
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