Le Seuil
Cadre Rouge
Parution : le 19 août 2022
Pages : 256
Prix : 19 €
Présentation de l'éditeur
Entre 1942 et 1944, des milliers d’enfants juifs, rendus orphelins par la déportation de leurs parents, ont été séquestrés par le gouvernement de Vichy. Maintenus dans un sort indécis, leurs noms transmis aux préfectures, ils étaient à la merci des prochaines rafles.
Parmi eux, un groupe de petites filles. Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d’internement en foyers d’accueil, de Beaune-la-Rolande à Paris. Cloé Korman cherche à savoir qui étaient ces enfants, ces trois cousines de son père qu’elle aurait dû connaître si elles n’avaient été assassinées, et leurs amies.
C'est le récit des traces concrètes de Vichy dans la France d’aujourd’hui. Mais aussi celui du génie de l’enfance, du tremblement des possibles. Des formes de la révolte.
Mon avis
Anne-Laure Mourgue garde des enfants juifs dont les parents ont été raflé en juillet 42. Ils sont au nombre de quatre : les trois soeurs Korman : Mireille, Jacqueline et Henriette, âgées respectivement de 10, 5 et 3 ans, et un bébé Madeleine.
Le 9 octobre 42, à la demande des autorités allemandes, elle prépare les fillettes et refuse de leur donner le bébé. Madeleine c'est la petite dernière Kaminsky, ses soeurs Andrée, Jeanne et Rose seront également raflées le même jour.
Ironie du sort, leurs parents étaient également raflés ensemble en juillet. Ce sont deux familles polonaises venant de villes murées en ghetto ; Varsovie et Piotrkov, émigrées en France en 1939 qui finiront malheureusement dans leur pays à Auschwitz.
En faisant cette enquête, Cloé Korman a voulu savoir qui étaient ces enfants et surtout retrouver les traces des trois cousines de son père, qu'elle aurait pu connaître si elles n'avaient pas été assassinées.
Elle nous démontre l'acharnement et l'implication concrète de Vichy, du traitement qui a scellé le sort des enfants juifs rendus orphelins par la déportation de leurs parents entre 1942-1944.
Des enfants répertoriés, placés dans des centres ou familles d'accueil, raflés, séparés, au camp de Pithiviers, de Beaume-la-Rolande, entassés dans des baraquements en attente d'être convoyés, "libérés" enfin plus exactement bloqués, séparés, ballotés.
Elle retrace l'histoire, leur enfance, la force de l'enfance, l'évasion par l'écriture pour Andrée survivante qui témoigne. Elle nous parle aussi des Justes, des personnes qui mettaient en oeuvre une façon de protéger les enfants, de se donner bonne conscience.
Le livre est exigeant car bien documenté, ce qui peut rendre la lecture un peu ardue mais ce récit est indispensable pour ne pas oublier.
Ma note : 8.5/10
Les jolies phrases
Certaines histoires sont comme des forêts, le but est d'en sortir. D'autres peuvent servir à atteindre des îles, des ailleurs. Qu'elles soient barques ou frêts, elles sont faites du même bois.
"Chaumière" (ou "petite ferme", small farmhouse dans le texte original) est le terme employé par l'historien Raul Hilberg pour parler des premières installations destinées aux meurtres de masse à Auschwitz, après des essais dans des camions qui n'étaient pas suffisament spacieux. "Chaumière" a aussi quelque chose qui évoque les villages des contes, de ceux qui bordent les forêts. De mon côté, j'hésite à reconnaître celle que j'aperçois, à en franchir la lisière avec les six enfants qui m'entourent. Les orphelins sont les héros ou bien, selon la perspective dans laquelle on se place, les proies aisées dans les forêts des contes où ils sont abandonnés, et où seule la ruse peut les sauver. La forêt où s'égarent Hansel et Gretel est en tout point pareille, à l'arbre près, à celle où se trouvent les deux chaumières dont parle Hilberg.
Elle est posée ici aujourd'hui en même temps que nous, mais elle est dans sa maison comme une cigogne sur un bourrelet d'alluvions, détendant ses pattes, reprenant son souffle, entre deux reportages plus ou moins lointains - les lointains relatifs de son art qui donne l'air si proche à ce qui est loin, loin de ce qui est proche.
Leur vieillesse, aperçue depuis le miroir sans tain du studio de Géraldine, m'apparaît ce soir-là beaucoup moins comme une corrosion que comme un accroissement, comme le végétal qui pousse plus, donne plus de fleurs, de mousses, abrite plus d'insectes, capte plus d'air et de lumière.
L'opportunisme de ceux qui ont mis en application les lois antijuives, ou bien leur ambiguïté, entre assistance et oppression, les a portés à choisir les endroits habituels du culte et de la vie associative juive pour faciliter la traque et le regroupement des victimes. Les centres de l'UGIF sont des anciens hospices, asiles, orphelinats, maison de vieillards, hôpitaux ou écoles, tous des lieux destinés à qui s'y abritaient. Concernant les enfants, cette fonction est encore plus sournoise : ces derniers n'auraient pas eu besoin de protection si on ne leur avait pas enlevé leurs parents. Le système qui les protège est aussi celui qui les a faits orphelins. Quant à les regrouper, rien de plus dangereux, de plus paradoxal avec l'idée de leur porter secours.
Je me demande ce qu'elles éprouvent à former ce groupe d'enfants qui se perdent et qui se quittent sans arrêt, alors que leurs parents ont disparu. On dirait des poupées gigognes auxquelles on enlèverait successivement toutes leurs enveloppes, qui flottent dans un espace sans arrière-plan. Enlevées à des familles qui n'existent plus, elles se recomposent en groupes successifs qui s'égarent et se dispersent à nouveau, dans ces lieux vidés de leur usage normal, et dont on peut les retirer d'un jour à l'autre.
Les rapports des médecins sur les foyers rapportent des cas d'enfants internés depuis plus d'un an qui craignent de grandir, pensant que leurs parents ne les reconnaîtront pas, et d'autres qui s'arrêtent de grandir, soient qu'ils cessent de s'alimenter de façon plus ou moins volontaire, anorexie ou brûlures d'estomac telles qu'en présente ma petite-cousine Mireille, soit que le processus s'enraye, par des moyens à peine identifiables, et que l'enfant se maintienne dans les contours d'une silhouette qu'il ne veut plus changer.
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