vendredi 4 octobre 2019

77 - Marin Fouqué

77      -  Marin Fouqué


77

Actes Sud
Parution : 21 août 2019
Pages : 224
ISBN 978-2-330-12545-5
Prix  : 19, 00€


Présentation de l'éditeur

Chaque matin depuis la rentrée, ensommeillés, mutiques, mal lunés, ils se retrouvent au point de ramassage – le grand Kevin, la fille Novembre, le Traître, les faux jumeaux, et puis lui. Aujourd’hui, il ne montera pas dans le car scolaire, il va rester seul au bord de la route, sous l’abribus, sous sa capuche, toute la journée. À regarder passer les voitures. À laisser son regard se perdre sur les terres du “sept-sept”, ce département vague entre Paris et la province, entre boue et bitume, où les villes sont de simples bourgs et les champs de mornes étendues de camaïeu brun. À se noyer dans les souvenirs d’avant l’été, quand le Traître s’appelait encore Enzo et qu’avec la fille Novembre ils formaient un trio inséparable.
Ce premier roman à l’énergie brute charrie la violence et l’innocence, l’âge des possibles et de l’insupportable, la construction des corps et la fracture des rêves dans un flux de conscience époustouflant de spontanéité, d’invention, de vérité.



“Longtemps j’ai cru venir d’un paysage sans identité.

Ni tout à fait urbanisée, ni entièrement rurale, j’ai grandi dans une zone sans réelles histoire ni culture auxquelles me rattacher. J’enviais secrè­tement celles et ceux de la ville qui me parais­saient connectés en haut débit à tout ce qui palpite ; j’admirais et craignais celles et ceux des périphéries que je fantasmais comme braves et prompts à tout retourner sur leur passage ; je respectais celles et ceux des provinces qui me semblaient avoir quelque chose à protéger et à chérir. Moi, je venais seulement d’une zone où rien ne se passe et où personne n’arrive, pas assez vive et pas totalement morte, quelque part au croisement exact entre le bitume et la boue.

Du bitume et de la boue, on doute rarement de qui enfouira qui.

Alors, pour mieux la saisir avant sa dispari­tion, j’ai d’abord voulu écrire cette terre sans histoire ; mais le roman m’a tracté sur d’autres sillons : ceux d’une réalité pétrie d’entre-deux. Entre la mémoire et le paysage, entre la fange et le goudron, entre l’enfant et l’adulte, entre le jeu et le coup, entre l’oubli et le mensonge, entre l’amour et l’amitié, entre le genre et la sexualité, entre l’injonction à se construire en « vrai bon­homme » et le désir de devenir soi-même, entre la rage et l’abandon, entre la fureur et l’étreinte, entre le silence et les non-dits, entre la houle et l’impact.

C’est de cette bifurcation dans la terre que naîtrait la voix du narrateur.

Une voix si ancrée dans le paysage qu’elle l’incarnerait totalement, se faisant à la fois témoin et porte-parole d’une génération d’ou­bliées et d’oubliés de toutes provenances. Une voix pour emporter cette génération plus loin que la capuche dont elle serait protégée, plus loin que l’abribus où elle se tiendrait recluse, plus loin que l’étendue de terre qui l’entourerait avec la nationale pour seul horizon, et pourquoi pas aller encore plus loin, au-delà du territoire, au-delà des souvenirs, au-delà de l’adolescence, au-delà de la violence, au-delà de toute injonc­tion, au-delà du silence.’’

M. E

L'auteur nous en parle




Mon avis

C'est un premier roman dont on va entendre parler j'en suis certaine. Pour diverses raisons.

Sa forme : c'est un récit écrit d'un jet continu, d'une traite, sans chapître, sans alignement.  Un texte continu entrecoupé de nom de COULEUR ou de METALLISE en majuscules.  C'est tout.

Un peu perturbant au départ mais nécessaire comme un flot de paroles continu, un grand monologue qui raconte le quotidien d'un ado en capuche dans le 77.

C'est un récit qu'à plusieurs reprises, j'ai lu à voix haute pour entendre claquer la langue, sa musicalité, son rythme.

Ça claque, ça pète, ça vit et pourtant il ne se passe pas grand chose dans cet abribus en béton où notre narrateur passe ses journées à fumer des pétards refusant de prendre le car scolaire conduit par Polnareff.  Il regarde Enzo, le traître, la fille de novembre, le grand Kevin et les jumeaux partir et reste la journée dans son abri sous sa capuche.

Il nous raconte son 77, et regarde passer les voitures sur la nationale, une rouge, et il se souvient, une jaune, d'autres souvenirs reviennent et surtout 3 métallisées ce matin là.

C'est un roman d'initiation, lui au corps frêle, qui se planque sous sa capuche, nous raconte son bled, ses champs marron, le père Mandrin sur son tracteur, la vieille, les vieux qui jouent au loto, la parisienne, ce qui a fait que son pote Enzo soit devenu le traître, ...

Il nous conte l'arrivée du grand Kevin qui fera de lui un autre.

Je n'ai pas envie de vous en dire plus si ce n'est que c'est rural, c'est noir, ça claque, ça pulse, la vie quoi dans le 77.

L'écriture est tranchée, saccadée, c'est un long monologue sonore et sensible.  Poétique à sa manière.
Quelle force d'écriture.  Un coup de poing, un coup de maître disent certains.

Ce roman sort de l'ordinaire.  A découvrir de toute urgence.

Ma note : 8.5/10


Les jolies phrases

Ils se prennent pas mal la tête, les vieux, dans la vie.  Ça rassure pas pour les années à venir.

Fumer quand on est pompiste est un sport dangereux, il disait, mais ça passe le temps, il ajoutait avant de conclure que souvent, c'est ce qui est le plus dangereux qui passe le mieux le temps.


L'odeur de peau des vieux, faudrait réussir à l'isoler.  Pour comprendre. Comprendre l'odeur du temps, des paquets d'années entassés.  Comme les strates de terres en cours de SVT, à l'époque où j'y allais encore.  Cette odeur de peau de vieux, elle imprégnait la salle, tu la sentais dans ton nez à peine passé la porte.

Dingue comme le bruit d'une bagnole peut ramener au réel.  Et dingue comme les souvenirs peuvent défiler.  Encore plus vite que la vie.  Le passé, il s'enchaîne bien mieux que le présent, j'ai remarqué.

Toute la journée, calme moi aussi, les nuages à mater.  Ça bougeait toujours, les nuages, une forteresse qui devient un chien qui devient un cheval qui devient un bateau qui devient un flingue qui devient une bagnole qui devient une masse, qui devient une gueule.  Et quelques avions qui la percent comme on s'éclate les boutons.

La première claque du shit, tu t'en souviens longtemps.  D'abord tu la crains, tu te dis que c'était la pire chose au monde, le pire moment de ta vie, plus que ça se reproduise, tu t'arrêtes bien avant que ses ressacs ne reviennent.  Et puis un jour tu la regrettes.  Tu te mets à se recherche.  Tu l'idéalises.  Un peu comme l'amour.   C'est la mémoire qui te trompe.  D'ailleurs, ça sert peut-être à ça la mémoire : trouver la vie belle au moins dans le rétro.  Dans le rétro du tracteur de la vie, y a l'ancienne terre qui se retourne.  Par vagues ça se retourne et puis plus rien n'est comme avant .  Nouvelle terre.  Belle terre bien grasse et sombre du sud 77.

La vie c'est des coups, la défonce c'est de l'entraînement.  C'était ça être un homme, un vrai : se connaître de l'intérieur, en profondeur.



1 commentaire:

Philippe D a dit…

Si ce texte n'est pas grammaticalement correct, il n'est pas pour moi !
Bon dimanche.