Je ne reverrai plus le monde - Ahmet Altan ♥♥♥♥♥
Actes Sud
Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes
Parution : 11 septembre 2019
Pages : 224
ISBN 978-2-330-12566-0
Prix : 18.50 €
Présentation de l'éditeur
Ahmet Altan est romancier, essayiste et journaliste, il était aussi rédacteur en chef du quotidien Taraf jusqu’au 15 juillet 2016. À cette date, la Turquie s’enflamme, des milliers de personnes descendent dans la rue à Istanbul et à Ankara suite à une tentative de putsch. Le lendemain commence une vague d’arrestations parmi les fonctionnaires, les enseignants, l’armée et les journalistes. Ahmet Altan fait partie de ceux-là, il sera condamné à perpétuité, accusé d’avoir appelé au renversement du gouvernement de l’AKP. Ahmet Altan a 69 ans.
Ces textes sont écrits du fond de sa geôle. Poignants, remarquablement maîtrisés, ces allers-retours entre réflexions, méditations et sensations expriment le quotidien du prisonnier mais ils disent aussi combien l’écriture est pour lui salvatrice. Tel un credo il s’en remet à son imagination, à la force des mots qui seule lui permet de survivre et de franchir les murs.
Un livre de résilience exemplaire.
L'auteur
Ahmet Altan, né en 1950, est un des journalistes les plus renommés de Turquie, son œuvre de romancier a par ailleurs connu un grand succès, traduite en plusieurs langues (anglais, allemand, italien, grec...).
Accusé d’avoir participé au putsch manqué du 15 juillet 2016, Ahmet Altan vit depuis septembre 2016 en prison.
Source : Actes Sud
Après 1138 jours de prison, il a enfin été remis en liberté sous contrôle judiciaire ce 7 novembre suite à une décision d'un tribunal turc du 4 novembre. Enfin libre.
Mon avis
Ahmet Altan, romancier, essayiste, journaliste, rédacteur en chef au quotidien turc "Taraf" a été arrêté le 15/07/16. Condamné dans un premier temps à perpétuité pour tentative de putsch. Il sera enfermé 1138 jours dans les quartiers de Haute Sécurité des geôles turques avec enfin ce 4 novembre 2019 un arrêt de la Haute Cour d'Istanbul qui ordonnera sa remise en liberté sous surveillance. C'est avec beaucoup d'émotion et de joie que j'ai appris cette nouvelle.
C'est à l'Intime Festival de Namur que j'ai eu l'envie de découvrir ce lire "Je ne reverrai plus le monde", 19 textes de prison, transmis feuillet après feuillet via ses avocats vers l'extérieur. Un livre qui ne sera bien entendu pas publié en Turquie. Julien Lapeyre de Cabanes, son traducteur était présent et Pietro Pizzuti nous avait fait une lecture magnifique forte en émotions.
C'est un texte magnifique. Un témoignage sur la justice plutôt l'injustice.., sur les arrestations arbitraires touchant les fonctionnaires, enseignants, journalistes, militaires...
Ahmet Altan nous fait comprendre qu'il a choisi de lutter en choisissant l'acceptation.
On l'enfermera c'est un fait mais jamais on ne prendra sa liberté car il y a les mots, la pensée par lesquels il peut s'évader, être libre.
Il nous parle de l'enfermement, des conditions difficiles, du manque d'espace, du fait que l'on mélange sciemment des personnes d'âge, de culture et de religions différentes.
Tout est mis en oeuvre pour les briser moralement, leur faire perdre leur identité en perdant leur image. C'est terrible l'absence d'un simple miroir, ne plus se voir c'est aussi avoir le sentiment de ne plus exister, de n'être plus rien.
Il nous parle de la puissance des mots. Du manque de livres, oh cruauté extrême. Lorsqu'enfin il peut lire "Tolstoï" , par exemple il revit, le pouvoir de l'esprit reprend le dessus.
Il nous parle de l'importance et du besoin vital d'écrire, du pouvoir de la pensée, du besoin de création.
Ces 19 textes de prison sont poignants. Il nous pousse à la réflexion, à la méditation. Son écriture est aboutie, remarquablement belle et non sans ironie. Quelle force, quelle beauté, quelle résilience.
Jamais ils n'ont réussi à l'enfermer, son esprit l'a toujours porté ailleurs.
Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais.
A lire de toute urgence. Ce livre est un petit bijou.
Ma note : Gros coup de coeur ♥♥♥♥♥
Les jolies phrases
Un jour, j'allais mourir. Étrangement, penser à ma mort m'a tranquillisé. J'allais mourir un jour. Et quelqu'un qui va mourir ne saurait craindre ce que la vie lui réserve.
Il leur avait suffi de nous enlever des miroirs pour nous éliminer.
Le miroir te regarde, il prouve que tu existes. La distance entre le miroir et toi crée un espace qui t'est propre, un espace qui te circonscrit, où les autres ne pénètrent pas, un espace qui t'appartient. L'absence de miroir avait aboli cette distance.
Si "tout change" sur cette terre, la connerie et la lâcheté, elles ne prennent jamais une ride.
Je peux écrire n'importe où, le bruit et l'agitation ne m'ont jamais dérangé. D'ailleurs, une fois que je suis plongé dans l'écriture, tout ce qui m'entoure disparaît. Je romps le contact avec le monde extérieur et m'enferme dans une pièce invisible où personne ne peut entrer que moi.
J'écrirai pour pouvoir vivre, résister, me battre, me regarder fièrement en face, et pour pardonner mes faiblesses.
Dans la cellule, l'air et la lumière ne connaissaient aucune variation. Les minutes se ressemblaient toutes. Comme si le temps était un bras d'au qui, détaché de son fleuve d'origine, s'était heurté à une digue au pied de laquelle il formait désormais un lac. Et nous, nous habitions le fond de ce lac immobile.
L'une des plus grandes liberté qui puissent être accordées à l'homme : oublier. Prison, cellule, murs, portes, verrous, questions, hommes - tout et tous s'effacent au seuil de cette frontière qu'il leur est strictement défendu de franchir.
Le fait d'écrire contient ce paradoxe fabuleux qu'il est à la fois un refuge à l'abri du monde et un moyen de l'atteindre. Il te permet en même temps d'oublier et de rester dans les mémoires. Comme tous les écrivains, je veux oublier le monde et que le monde se souvienne de moi.
L'une des choses les plus insoutenables de ma vie était de devoir me passer de livres.
J'ai grandi dans une maison pleine de livres. J'ai passé toute mon enfance parmi eux. Les livres étaient comme des fées au milieu d'une forêt qui me semble oppressante, effrayante, et à cette forêt dont la nature profonde m'échappait, j'aimais mieux les charmes scintillants des fées, leur ravissant mystère et leurs sourires pleins de promesses.
Me jeter en prison était dans vos cordes; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis un écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.
Enfermez-moi où vous voulez, je parcours encore le monde avec les ailes de l'imagination.
Je sais que tant que ces gens ne vivront que dans ma tête, je serai schizophrène, et quand, devenus phrases, ils peupleront les pages d'un livre, je serai écrivain.
Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais.
1 commentaire:
Je ne connais pas, mais c'est un livre sans nul doute intéressant !
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