samedi 9 septembre 2023

Le dernier amant - Oscar lalo

Le dernier amant -  Oscar lalo





















Récamier
Parution : 24/08/23
Pages : 304
Ean : 9782385770013
Prix : 20 €


Présentation de l'éditeur

Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. C’est-à-dire, toi. Tu es tout ça. Matière et lumière. Bien que Dieu t’ait façonnée pour le désir, tu es de plus en plus inerte sous mon corps en rut. Je n’en finis pas de baiser ta dépouille. Plus je te consomme, plus tu te consumes.

Le dernier amant, c’est celui qui savait mais qui a continué. Un homme qui, sous prétexte d’aimer sa femme, l’a brutalisée des années durant jusqu’à finir en prison. Un homme qui, sous prétexte d’aimer sa terre mère, l’a exploitée jusqu’à détruire ses écosystèmes. Deux tristes facettes d’un seul et même être, coupable d’aveuglement, de négligence et de maltraitance envers autrui et, finalement, envers lui-même. À travers l’histoire de ce narrateur, Oscar Lalo superpose magistralement deux lectures de la violence : celle faite aux femmes et celle faite à la nature.

Oscar Lalo


Vous trouverez ici ou là des éléments biographiques ; ils sont tous faux. En effet, toutes les vies que l’on expose sont toutes plus apocryphes que celle que l’on garde pour soi afin de la vivre dans l’écrin feutré de sa propre intimité. À l’instar de Claude Simon pour lequel le sujet de ses livres c’était le style, l’essence de ma vie se trouve dans mes livres. Si vous parvenez à les lire sans m’y chercher, vous m’y trouverez tout entier.


sur le site de l'auteur ici







Mon avis

Une nouvelle maison d'éditions, Récamier, fait sa première rentrée avec Oscar Lalo, une plume que j'affectionne particulièrement depuis son tout premier roman.

C'est un livre fort, un plaidoyer pour la sauvegarde de notre belle terre, qui dénonce les dérives de notre société.  C'est une prise de conscience de notre narrateur, un éveil à son ignorance. 

"Le dernier amant" c'est l'homme qui sous le prétexte d'aimer sa femme, l'a brutalisée des années durant, c'est l'Homme qui sous le prétexte d'aimer sa terre mère, lui a pris ses ressources et a détruit son écosystème.

Il prend aujourd'hui conscience du monde qu'il laisse à ses enfants, aux générations à venir qui découvriront un monde que l'on ne connaît pas encore par sa faute. 

C'est une double lecture qui nous est proposée sur la violence faite aux femmes mais aussi celle faite à notre planète.  C'est fort, puissant.  L'écriture est ciselée, poétique et nous met face à nos réalités.  Un plaidoyer d'un grand réalisme dont le contenu pourrait se rapprocher de l'essai mais est plus que cela de par sa forme.  C'est très réussi et captivant.

On a tellement de signaux que personne n'écoute, on continue à consommer à outrance, victimes du capitalisme, quand comprendrons-nous qu'il faut pouvoir se remettre en question ?  Changer nos habitudes et comportements ?

Nos actes, nos actions ont un poids, comme ce que nous mangeons, la vie que l'on mène en virtuel via les réseaux au détriment de l'humain.  La liberté n'est-elle pas ailleurs ? que de vouloir toujours accumuler plus de profit, et cultiver la culture de l'ignorance via les réseaux ?

Ça claque, ça secoue, ça fait réfléchir et la forme est très belle. Lisez-en quelques extraits, c'est un récit tellement essentiel, un plume qui marque.

Ma note : 9.5/10


Les jolies phrases

Tes pleurs sont mon alcool.  Ils m'enivrent.  Verse-m'en encore une larme.

Nous n'avons pas décidé de nous suicider individuellement, mais collectivement.  La race humaine est une secte, capable de croire à l'innocence d'un crime en se prosternant devant son investigateur qui n'est autre qu'elle-même.  Baîllonnée, réduite à un cri nasal, rendue mutique par sa propre voracité, elle assentit, telle une proie, au présage d'une mort docile. 

Des magiciens disent que je me fais du souci pour rien.  Que la technologie va me sauver.  Et toi dans la foulée.  Après t'avoir macroprocessée, il suffirait de te microprocesser.  Mon intelligence m'ayant fait défaut, ils viennent d'en créer de l'artificielle.  Elle est censée te surveiller au plus près.  Pour l'instant, c'est moi qu'elle surveille.

Même la nourriture est dégriffée.  Forcément, c'est toi qui paies ! Je fais comme si tes réserves étaient pleines.  Je me sers de toi comme d'un buffet.  Et toi, mère nourricière, tu n'en finis pas de donner tout ce que tu as.  Tout.  Chaque année, j'exige de plus en plus tôt que tu me donnes ce dont tu n'as déjà plus.  L'an dernier, ton buffet était vide le 5 ami.  Alors, j'ai tapé dans ton frigo.

Après avoir vidé ton frigo, j'ai puisé dans ton congélo.  Je continue à prendre ton hospitalité pour un dû.  Je fais fondre toute ta glace, assèche ton puits, brûle ton bois et brade tous tes biens.  Jusqu'à ce qu'apparaisse ton corps nu.  Sa coquille craquelle de toutes parts.  Tes ecchymoses annoncent ma déchéance.  Ton sein froissé ne m'accueille plus. Je finirai sans sépulture.  Grillé au soleil qui régnera en maître. Exposé au regard du dernier vautour dont je serai le dernier repas.  Ce sera lui mon dernier amant.  Le vautour qu'avec toi j'ai été.  

Les mecs demandent toujours une deuxième chance à la femme qu'ils ont abusée.  Ils ne comprennent pas qu'ils en sont à la dixième et que la chance n'est plus de la patrie.  

Orphelin de fille, je me suis rapproché de ma vieille mère.  Programmée ou pas, son obsolescence se traduit par des histoires qui tiennent chaud.  Elle les raconte en boucle. Elle aurait perdu la mémoire. Ça tombe bien : il est hors de question qu'elle se souvienne de sa petite-fille.  De toute façon, à l'hôpital, on m'a répondu qu'à cet âge-là on ne réparait plus.  J'ai sorti ce qui venait "une mère de rechange ça n'existe pas", "elle n'est pas jetable", "je n'ai plus les moyens d'en acheter une neuve". Depuis que j'ai perdu celle qui me suit, je ne sais plus où aller.  Si je perds celle qui me précède, je ne saurai plus d'où je viens.  Si tu m'abandonnes à ton tour, je ne saurai plus où je suis.  Jure-moi que tu n'es pas à l'origine du démantélement des femmes de ma vie.

Consommer, cette tache de naissance qui froisse l'aube.  Un jour, peut-être, nous cesserons d'empiler des tee-shirts jetables et réduirons notre armoire en sortant chiner un tee-shirt façonné par un voisin.  Passer un t-shirt imbibé de conteneurs à enfants à un t-shirt auquel nous pourrons serrer la main.  Par un chemin dérobé, se démarquer des marques luminescentes.  Se recueillir devant leur chair plastifiée.  Arrêter de gaver leur aquarium de tee-shirts à peine portés.  Le placard de leurs vêtements d'hiver est depuis longtemps une tombe qu'ils ne visitent plus.

Au tribunal, tu as soutenu que notre présent n'avait jamais été.  Tu as aussi affirmé que notre passé décomposé avait duré trop longtemps. De ce trop long voyage, je tire la leçon que mon amour pour toi n'est plus qu'un paysage rangé dans un tiroir dont je jette la clef pour garder la raison.

Tu sais combien j'ai aimé notre relation virtuelle.  C'était si pratique de pouvoir t'allumer, te consulter et t'éteindre à tout moment.  Pratique de te bloquer, de t'effacer, de te ressusciter, et de te faire taire sans que tu en prennes ombrage.  Tellement moins contraignant que d'avoir à te faire face, t'écouter, porter la croix de notre interdépendance.  c'était pratique de fixer mon écran qui me bombardait de photos de toi d'avant ton délitement. Pratique de t'éviter telle que tu es. Je t'aurais perdue sans t'avoir connue. 

Je réalise que j'ai tué notre fille par négligence, par ignorance, par désintérêt; dilapidé sa vie par inattention.  J'ai arboré mon ignorance comme une innocence.  J'ai approuvé des guerres qui me donnaient des réponses à des questions qui n'étaient pas les leurs ; ni les tiennes d'ailleurs. J'ai lancé : "Qui aime bien câtie bien!" Au mieux, j'aurai prouvé que je ne suis pas le seul à t'avoir câtiée.  Les amants irascibles, bestiaux, violents, tu les auras collectionnés.  Ils sont mon miroir et je les hais pour ça. Leurs bruits de bottres résonnent jusqu'au fond de ma cellule. 

Comment dire à ses propres enfants que les parents qui leur ont donné la vie sont leurs assassins? Comment leur expliquer que les milliards de victimes déjà en joue sont elles aussi les milliards de criminelles dont ils sont les victimes ? Qui dénoncer lorsqu'on est réduit à porter plainte contre soi ?  Comment construire ce récit insensé où les méchants sont les gentils ?


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