samedi 16 mai 2015

Tout ce que j'aimais Siri Hustvedt

Tout ce que j'aimais

Siri HUSTVEDT























Actes Sud
Janvier 2003
11,5 x 21,7
464 pages
traduit de l'américain par : Christine LE BOEUF
ISBN 978-2-7427-4115-1
prix indicatif : 23, 40€ 


L'avis de la maison d'édition


Au milieu des années 1970, à New York, deux couples d’artistes ont partagé les rêves de liberté de l’époque, ils ont fait de l’art et de la création le ciment d’une amitié qu’ils voulaient éternelle et, quand ils ont fondé leur famille, se sont installés dans des appartements voisins. Rien n’a pu les préparer aux coups du destin qui vont les frapper et infléchir radicalement le cours de leurs vies — de la disparition tragique du fils unique de l’un des couples au dérapage dans le milieu des toxicomanes du fils de l’autre, bientôt impliqué dans un meurtre épouvantable…
Siri Hustvedt convie ici à un voyage à travers les régions inquiétantes de l’âme : bouleversant, ambigu, vertigineux, Tout ce que j’aimais est le roman d’une génération coupable d’innocence qui se retrouve, vingt ans plus tard, au bout de son beau rêve.


Mon avis

Nous sommes dans les années septante à New York dans le milieu artistique.  Nous allons suivre sur environ une vingtaine d'années le parcours de deux couples amis.

Un couple d'universitaires dont le narrateur  Léo est professeur d'histoire de l'art, son épouse Erica d'un côté, de l'autre Bill, artiste peintre à la gloire naissante et sa muse Violet , une intellectuelle s'intéressant aux troubles mentaux (hystérie de la femme, anorexie et troubles alimentaires).

Ils habitent dans le même immeuble, l'un au dessus de l'autre et deviennent parents en même temps.

La vie ne leur fera pas de cadeau et ils perdront "tout ce qu'ils aimaient" ; leur fils, leurs amis, la confiance, l'amour, la vue...

Voilà en gros le résumé de ce livre touffu et dense, très dense à l'écriture serrée sans respirations de 458 pages.

Le livre inclassable se compose de trois parties que j'identifierais comme ceci :

- la première partie est  un documentaire sur le milieu de l'art contemporain bourgeois sous forme        d'une étude sociologique
- la seconde est psychologique, les personnages sont touchants et attachants
- et le dernier tiers se déroule comme un thriller noir.

Le premier tiers est très dense et fut pénible pour moi, énormément de personnages, des descriptions d'oeuvres d'art moderne interminables, des pages entières sur les maladies psychiques. J'avoue m'y être ennuyée et avoir eu la tentation de mettre fin à la lecture à plusieurs reprises mais beaucoup d'entre vous en parlait comme un de vos livres préférés et j'ai heureusement persévéré.
J'avoue que cette première partie est excessivement bien documentée, très fouillée voire trop.  J'ai comment vous dire eu l'impression que c'était vraiment trop intello, au détriment des émotions.
Les narrations et descriptions qu'elles soient artistiques ou scientifiques ont failli me perdre, et puis c'était lent, beaucoup trop lent, trop de longueurs.

Arrive la page 171 (et oui tout de même) et là cela se débloque et je suis éblouie par l'écriture.  On s'attache plus aux personnages, à leur psychologie (d'une façon remarquable) et aux relations humaines.

La perte d'un être cher et la complexité des sentiments et émotions sont magnifiquement décrites.
Le rôle intense de l'amitié, le soutien avec une plume pleine de justesse ont fait que je me suis attachée aux personnages, ils avaient plus d'ampleur.  J'ai vraiment apprécié cette partie.

Le dernier tiers est sombre, haletant, passionnant, c'est un vrai thriller qui nous est donné de suivre.  Il nous plonge dans les méandres et la complexité de l'esprit humain.

Je suis contente d'avoir fait cette découverte mais vous l'aurez compris, je reste un peu sur ma faim.
Il est vrai que je ne suis pas une référence, la littérature américaine n'est pas ma préférée, j'ai souvent du mal à "rentrer dedans" car c'est souvent lent, très lent, beaucoup trop de narrations à mon goût, ce qui m'empêche de m'attacher aux personnages et à l'histoire en temps que telle.

Je suis donc perplexe au terme de cette lecture commune partagée avec "Sur la route de Jostein", son avis se trouve ici, mais aussi contente de ne pas avoir abandonné.

Ma note est sévère : 6/10

Les jolies phrases

Je mentionnai les récits cachés dans ses tableaux et il répondit que, pour lui, les histoires étaient comme le sang irriguant un corps : les voies d'une vie. C'était une métaphore révélatrice, et je ne l'oubliai jamais.  En tant qu'artiste, Bill traquait l'invisible dans le visible.

Mais nous avons oublié, dit Lucille en se tournant vers moi, nous ne nous rappelons pas toujours ce que nous avons oublié ; par conséquent, se rappeler qu'on a oublié, ce n'est pas vraiment oublier, n'est-ce pas ?

L'oubli, dis-je, fait sans doute partie de notre vie autant que le souvenir.  Nous sommes tous amnésiques.

Nous sommes tous, je le suppose, les produits des joies et des peines de nos parents.  Leurs émotions sont inscrites en nous, tout autant que les caractères provenant de leurs gènes.

Il est comme à l'intérieur de moi, tu vois.  A moitié dedans, à moitié dehors, et je sais qu'il n'est pas vraiment vrai.

Comme tout le monde, Bill réécrivait sa vie.  Les souvenirs d'un homme mûr sont différents de ceux d'un jeune homme.

Je n'avais pas envie qu'elle s'en aille et pourtant, le fait qu'elle s'en aille avait desserré un verrou dans les mécanismes de notre couple.

Je crois que c'est pour ça que j'ai toujours aimé la peinture.  Quelqu'un peint un tableau dans le temps, mais, une fois qu'il est peint, le tableau reste au présent.

Toute correspondance est semée de perforations invisibles, les petits trous de ce qui n'est pas écrit mais qui est pensé et, le temps passant j'espérai avec ferveur que ce n'était pas un homme qui était absent de ces pages que je recevais chaque semaine.

Manger est notre plaisir et notre punition, notre bien et notre mal.

Je trouvais à la présence physique de Mark une qualité presque magique.  Du moment que je le regardais, je le croyais toujours.  La franche sincérité qu'exprimait son visage bannissait tous mes doutes, mais, dès qu'il se trouvait hors de vue, la sourde anxiété renaissait.
Chaque fois qu'un artiste meurt, son oeuvre commence lentement à remplacer son corps, devenant son substitut matériel dans le monde.

L'art dans son inutilité, résiste à l'incorporation dans le quotidien et, s'il a le moindre pouvoir, il paraît respirer la vie de la personne qui l'a créé.

Je suis sur des montagnes russes entre amour et haine, disait-elle.  C'est toujours le même parcours qui recommence indéfiniment.

La vie de Mark était une archéologie de fictions superposées, et j'avais à peine commencer à creuser.

Les mensonges sont toujours doubles : ce que l'on dit coexiste avec ce que l'on ne dit pas, mais qu'on aurait pu dire.

Un mensonge spectaculaire n'a pas besoin d'être parfait.  Il repose moins sur le talent du menteur que sur l'attente et les désirs de celui qui l'écoute.


Lecture dans le cadre de mon challenge PAL






Une lecture programmée en début d'année avec Sur la route de Jostein, son avis se trouve ici

1 commentaire:

Jostein a dit…

Je reconnais les trois parties décrites. Fort heureusement, les deux dernières m'ont comblée. Ainsi, je reconnais la nécessité de bien installer les personnages et de décrire le milieu, les origines. Certes, cela aurait pu être plus rapide mais Siri Hustvedt est là dans son élément et elle écrit bien sur ce qu'elle maîtrise.
Merci de m'avoir accompagnée pour cette lecture, un pavé que je repoussais malgré les très bonnes critiques.