Déborah Lévy-Bertherat
Collection : Littérature / Rivages
Grand format
230 pages.
Paru en : Avril 2015
Prix : 18.00 €
Isin : 9782743631765
Editions : Rivages
Avis de l'éditeur
Un roman d’une grande efficacité narrative, qui mêle avec brio, sur fond d’évocations de souvenirs d’enfance et de guerre, le motif romanesque des retrouvailles amoureuses et celui de l’usurpation (involontaire) d’identité. Madeleine retrouve soixante ans après son premier fiancé qu’elle croyait mort à la guerre d’Indochine, mais il s'avère que le vieux René qu’elle serre dans ses bras est un autre... Un traitement très fin et subtil du malentendu tragique entre des êtres qui étaient voués à s’aimer et que la vie a destiné à se perdre.
Mon avis
J'avais adoré le premier roman de Déborah Lévy-Bertherat "Les voyages de Daniel Ascher"
qui sort en poche en ce mois d'avril. C'était d'ailleurs la LC avec mon binôme "Les petites lectures de Scarlett" le mois dernier. Nous n'avons pas résisté à l'idée de découvrir le nouvel opus de Déborah, un petit bijou.
L'avis de Julie se trouve ici
René Loriot est résident de la maison de retraite "L'Espérance" depuis six ans. Le soir de la Saint Jean, une dame aux souliers rouges l'aperçoit dans le jardin, et lui dit "Tu es là, tu es revenu ?". Elle le prend dans ses bras, l'observe et est contente de retrouver son premier amour. Elle savait que Maximilien reviendrait, qu'il n'était pas mort il y a soixante ans en Indochine. Non, elle le savait vivant et elle l'étreint. René est troublé, ce visage lui dit quelque chose, mais quoi ? Lui qui a pourtant une excellente mémoire, il a beau retourner ses tiroirs mais il ne sait pas d'où vient ce regard. Troublé et ne voulant pas perdre cet amour, cette tendresse, peu à peu il rentrera dans la peau de Maximilien pour vivre une belle histoire d'amour.
La mémoire de Madeleine est comme un gruyère, petit à petit, les souvenirs se perdent. René va veiller sur elle, la protéger, essayer d'en savoir plus et de la ramener dans ses souvenirs.
Nous traverserons les guerres, l'enfance , à travers leurs souvenirs, un pont magnifique, un dialogue qui va se créer entre la vieillesse et l'enfance. René et Mado en s'approchant de leur fin de vie vont retrouver leur authenticité, se dépouiller de leur mensonge pour accepter enfin la réalité de la vie.
Dans ce récit, il y a aussi Célestine, une religieuse qui a quitté son Afrique natale il y a quatre ans. Elle s'est promise à Dieu pour éviter de perdre la vie en la donnant. Elle a été troublée par la mort de sa mère qui a quitté ce monde en enfantant avec son petit frère. Elle a préféré se libérer du poids des hommes en se mariant avec Dieu. Elle est généreuse. Elle est passeuse à " L'Espérance". Elle a toujours sur elle, un petit livre de contes d'Andersen. Elle l'utilise régulièrement auprès des pensionnaires, pour aider au passage de cette vie vers l'autre rive. Un personnage rempli d'amour et de tendresse que l'on aurait envie de rencontrer.
Ce roman est abouti, magnifique. L'écriture est splendide, poétique, remplie de tendresse et d'émotions. Que de nombreux passages j'ai eu envie de vous citer tant la beauté du récit est présente à chaque instant. C'est un petit bijou. Jamais le livre ne devient noir, pathétique, au contraire il est lumineux. C'est avec beaucoup de tendresse que nos "petits vieux" se penchent sur leur vie et le chemin parcouru. Et puis l'amour c'est toujours possible, et le dernier amour il faut le vivre intensément.
Magnifique, n'attendez plus et découvrez ce magnifique récit. Magnifique jusqu'à la couverture bien choisie. Elle illustre à merveille l'esprit du livre, la mémoire qui s'étiole; les souvenirs, le bonheur, le grand voyage, le passage. Encore bravo un livre abouti jusqu'au bout.
Immense coup de ♥
Les jolies phrases
Les années s'abolissent, il n'est jamais parti, elle n'a pas vécu, ni aimé d'autre homme, ni étudié la science, ni eu d'enfant. L'enfant, c'est elle, elle a huit ans et tout l'amour à inventer.
Lui d'habitude si raisonnable, il a senti que s'il ne descendait pas la rejoindre à l'instant même, s'il la laissait fuir, c'est lui qui se perdait.
Ils étaient suspendus entre ciel et terre, un souffle les enveloppait et les abritait de la pluie, comme quand un silence se fait et qu'on dit "un ange passe".
Il avait voulu se changer en marionnette pour ne pas la lâcher d'un fil.
Un discret sabotage a déjà desserré quelques boulons, bientôt, les tire-fond vont lâcher les traverses, ouvrir les butées, et libérer l'âme des rails. Inéluctablement, son petit train quotidien va dérailler et se mettre à rouler au hasard, sans crier gare.
Tant que le mal n'a pas de nom, on peut douter qu'il existe vraiment, tandis qu'après...
Elle mesure comme toujours la distance qui les sépare de ses proches, les continents, les mers, les années. Au lieu de la joie espérée, elle éprouve la douleur de l'absence. Comment se retrouver sans pouvoir se toucher, s'étreindre, s'embrasser ? L'affection se déperd dans tous ces câbles et ces ondes.
C'est fou, songe-t-elle, ce que la vie peut vous changer. Le temps vous rabote, vous ponce et vous polit, jusqu'à vous user complètement. Il gomme les cicatrices, adoucit les caractères.
Mais il enfouit ses doigts bleuis sous les plumes, au plus près de la peau, cherchant l'endroit où le duvet est encore sec et chaud comme la vie. Pris d'un nouveau vertige, il se sent basculer hors de l'enfance, vers un monde obscur et cruel. Alors, comme si la chaleur trop douce de l'oiseau mort dégelait quelque chose au plus profond de lui, il se met à pleurer.
A sa naissance, elle était toute petite, si petite qu'ils n'ont pu ni la voir, ni la toucher, ni l'habiller, ni lui donner de nom. Deux semaines plus tard, elle aurait eu droit à tout cela, et à une petite tombe blanche, mais elle est née trop tôt, ou morte trop tôt, ce qui revient au même.
Elle leur avait choisi des prénoms de rois ou d'empereurs, parce que c'était le seul luxe qu'elle pouvait leur offrir.
Sous son crâne, ses tiroirs d'ivoire débordent. Ceux qui sont restés fermés pendant des années se sont ouverts sans prévenir et ont laissé échapper leur contenu. Sa mémoire est devenue un dédale de chemins de fer aux aiguillages incontrôlables, un labyrinthe d'allées enchevêtrées, un lac profond aux eaux dangereuses, hantées de tourbillons. A ses propres souvenirs se mêlent ceux d'un autre.
Quand à la fin de l'après-midi, le troisième avion amorce enfin sa descente vers Bobo Dioulasso, elle contemple la terre, sa terre, la région des Hauts-Bassins. Les lits des rivières dessinent sur sa surface brune un fin réseau de veines presque taries.
René a apporté à l'hôpital sa plus jolie robe, celle des grandes occasions. Il voulait poser près d'elle la boîte à musique à la poupée mais elle ne tenait pas dans le cercueil. Pendant que le prêtre balançait l'encensoir, il cherchait des yeux, sur le côté de la grande boîte de chêne verni dans laquelle on avait couché Giselle, une clé à remonter, qui déclencherait le mécanisme et la remettrait en mouvement.
L'incertitude atténue la souffrance.
Son assiette contient du cholestérol pour six mois et du bonheur pour cent ans.
Mon pays, c'est le bout du monde, et pourtant on y sera avant le matin.
Tous les gamins qui avaient vu la scène l'oublieraient les uns après les autres. L'ombre de la puberté l'effacerait de leur mémoire, car seuls les enfants sont capables de voir et d'entendre les anges. Mais à la fin de leur vie, l'image du corps splendide dans la chapelle d'arbres pourrait leur revenir.
Elle la tient, comme les vieux de la Maison de l'Espérance quand ils traversaient le pont vers l'autre rive. Cette fois, c'est l'inverse. Angélique est au milieu du pont, il faut lui faire rebrousser chemin. Et sans arrêt, pour ne pas perdre, elle lui parle à l'oreille.
A l'écoute de Déborah Lévy-Bertherat
Caroline Gutmann de RCJ a reçu Déborah ce 07 avril 2015, retrouvez-la ci-dessous.
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Isin : 9782743631765
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Avis de l'éditeur
Un roman d’une grande efficacité narrative, qui mêle avec brio, sur fond d’évocations de souvenirs d’enfance et de guerre, le motif romanesque des retrouvailles amoureuses et celui de l’usurpation (involontaire) d’identité. Madeleine retrouve soixante ans après son premier fiancé qu’elle croyait mort à la guerre d’Indochine, mais il s'avère que le vieux René qu’elle serre dans ses bras est un autre... Un traitement très fin et subtil du malentendu tragique entre des êtres qui étaient voués à s’aimer et que la vie a destiné à se perdre.
Mon avis
J'avais adoré le premier roman de Déborah Lévy-Bertherat "Les voyages de Daniel Ascher"
qui sort en poche en ce mois d'avril. C'était d'ailleurs la LC avec mon binôme "Les petites lectures de Scarlett" le mois dernier. Nous n'avons pas résisté à l'idée de découvrir le nouvel opus de Déborah, un petit bijou.
L'avis de Julie se trouve ici
René Loriot est résident de la maison de retraite "L'Espérance" depuis six ans. Le soir de la Saint Jean, une dame aux souliers rouges l'aperçoit dans le jardin, et lui dit "Tu es là, tu es revenu ?". Elle le prend dans ses bras, l'observe et est contente de retrouver son premier amour. Elle savait que Maximilien reviendrait, qu'il n'était pas mort il y a soixante ans en Indochine. Non, elle le savait vivant et elle l'étreint. René est troublé, ce visage lui dit quelque chose, mais quoi ? Lui qui a pourtant une excellente mémoire, il a beau retourner ses tiroirs mais il ne sait pas d'où vient ce regard. Troublé et ne voulant pas perdre cet amour, cette tendresse, peu à peu il rentrera dans la peau de Maximilien pour vivre une belle histoire d'amour.
La mémoire de Madeleine est comme un gruyère, petit à petit, les souvenirs se perdent. René va veiller sur elle, la protéger, essayer d'en savoir plus et de la ramener dans ses souvenirs.
Nous traverserons les guerres, l'enfance , à travers leurs souvenirs, un pont magnifique, un dialogue qui va se créer entre la vieillesse et l'enfance. René et Mado en s'approchant de leur fin de vie vont retrouver leur authenticité, se dépouiller de leur mensonge pour accepter enfin la réalité de la vie.
Dans ce récit, il y a aussi Célestine, une religieuse qui a quitté son Afrique natale il y a quatre ans. Elle s'est promise à Dieu pour éviter de perdre la vie en la donnant. Elle a été troublée par la mort de sa mère qui a quitté ce monde en enfantant avec son petit frère. Elle a préféré se libérer du poids des hommes en se mariant avec Dieu. Elle est généreuse. Elle est passeuse à " L'Espérance". Elle a toujours sur elle, un petit livre de contes d'Andersen. Elle l'utilise régulièrement auprès des pensionnaires, pour aider au passage de cette vie vers l'autre rive. Un personnage rempli d'amour et de tendresse que l'on aurait envie de rencontrer.
Ce roman est abouti, magnifique. L'écriture est splendide, poétique, remplie de tendresse et d'émotions. Que de nombreux passages j'ai eu envie de vous citer tant la beauté du récit est présente à chaque instant. C'est un petit bijou. Jamais le livre ne devient noir, pathétique, au contraire il est lumineux. C'est avec beaucoup de tendresse que nos "petits vieux" se penchent sur leur vie et le chemin parcouru. Et puis l'amour c'est toujours possible, et le dernier amour il faut le vivre intensément.
Magnifique, n'attendez plus et découvrez ce magnifique récit. Magnifique jusqu'à la couverture bien choisie. Elle illustre à merveille l'esprit du livre, la mémoire qui s'étiole; les souvenirs, le bonheur, le grand voyage, le passage. Encore bravo un livre abouti jusqu'au bout.
Immense coup de ♥
Les jolies phrases
Les années s'abolissent, il n'est jamais parti, elle n'a pas vécu, ni aimé d'autre homme, ni étudié la science, ni eu d'enfant. L'enfant, c'est elle, elle a huit ans et tout l'amour à inventer.
Lui d'habitude si raisonnable, il a senti que s'il ne descendait pas la rejoindre à l'instant même, s'il la laissait fuir, c'est lui qui se perdait.
Ils étaient suspendus entre ciel et terre, un souffle les enveloppait et les abritait de la pluie, comme quand un silence se fait et qu'on dit "un ange passe".
Il avait voulu se changer en marionnette pour ne pas la lâcher d'un fil.
Un discret sabotage a déjà desserré quelques boulons, bientôt, les tire-fond vont lâcher les traverses, ouvrir les butées, et libérer l'âme des rails. Inéluctablement, son petit train quotidien va dérailler et se mettre à rouler au hasard, sans crier gare.
Tant que le mal n'a pas de nom, on peut douter qu'il existe vraiment, tandis qu'après...
Elle mesure comme toujours la distance qui les sépare de ses proches, les continents, les mers, les années. Au lieu de la joie espérée, elle éprouve la douleur de l'absence. Comment se retrouver sans pouvoir se toucher, s'étreindre, s'embrasser ? L'affection se déperd dans tous ces câbles et ces ondes.
C'est fou, songe-t-elle, ce que la vie peut vous changer. Le temps vous rabote, vous ponce et vous polit, jusqu'à vous user complètement. Il gomme les cicatrices, adoucit les caractères.
Mais il enfouit ses doigts bleuis sous les plumes, au plus près de la peau, cherchant l'endroit où le duvet est encore sec et chaud comme la vie. Pris d'un nouveau vertige, il se sent basculer hors de l'enfance, vers un monde obscur et cruel. Alors, comme si la chaleur trop douce de l'oiseau mort dégelait quelque chose au plus profond de lui, il se met à pleurer.
A sa naissance, elle était toute petite, si petite qu'ils n'ont pu ni la voir, ni la toucher, ni l'habiller, ni lui donner de nom. Deux semaines plus tard, elle aurait eu droit à tout cela, et à une petite tombe blanche, mais elle est née trop tôt, ou morte trop tôt, ce qui revient au même.
Elle leur avait choisi des prénoms de rois ou d'empereurs, parce que c'était le seul luxe qu'elle pouvait leur offrir.
Sous son crâne, ses tiroirs d'ivoire débordent. Ceux qui sont restés fermés pendant des années se sont ouverts sans prévenir et ont laissé échapper leur contenu. Sa mémoire est devenue un dédale de chemins de fer aux aiguillages incontrôlables, un labyrinthe d'allées enchevêtrées, un lac profond aux eaux dangereuses, hantées de tourbillons. A ses propres souvenirs se mêlent ceux d'un autre.
Quand à la fin de l'après-midi, le troisième avion amorce enfin sa descente vers Bobo Dioulasso, elle contemple la terre, sa terre, la région des Hauts-Bassins. Les lits des rivières dessinent sur sa surface brune un fin réseau de veines presque taries.
René a apporté à l'hôpital sa plus jolie robe, celle des grandes occasions. Il voulait poser près d'elle la boîte à musique à la poupée mais elle ne tenait pas dans le cercueil. Pendant que le prêtre balançait l'encensoir, il cherchait des yeux, sur le côté de la grande boîte de chêne verni dans laquelle on avait couché Giselle, une clé à remonter, qui déclencherait le mécanisme et la remettrait en mouvement.
L'incertitude atténue la souffrance.
Son assiette contient du cholestérol pour six mois et du bonheur pour cent ans.
Mon pays, c'est le bout du monde, et pourtant on y sera avant le matin.
Tous les gamins qui avaient vu la scène l'oublieraient les uns après les autres. L'ombre de la puberté l'effacerait de leur mémoire, car seuls les enfants sont capables de voir et d'entendre les anges. Mais à la fin de leur vie, l'image du corps splendide dans la chapelle d'arbres pourrait leur revenir.
Elle la tient, comme les vieux de la Maison de l'Espérance quand ils traversaient le pont vers l'autre rive. Cette fois, c'est l'inverse. Angélique est au milieu du pont, il faut lui faire rebrousser chemin. Et sans arrêt, pour ne pas perdre, elle lui parle à l'oreille.
A l'écoute de Déborah Lévy-Bertherat
Caroline Gutmann de RCJ a reçu Déborah ce 07 avril 2015, retrouvez-la ci-dessous.
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