samedi 13 juin 2015

La place Annie Ernaux ♥♥♥♥♥


La place

Annie Ernaux





Edition originale Gallimard La Blanche 12/04/84
Poche: 113 pages
Editeur : Gallimard (1 janvier 1986)
Collection : Folio
Langue : Français
ISBN-10: 2070377229
ISBN-13: 978-2070377220
Dimensions du produit: 17,3 x 10,7 x 1 cm


Présentation de l'éditeur


«Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide.Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.Puisque la maîtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures" n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : "Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !" Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent.»

L'auteur




Annie Ernaux naît le 1er septembre 1940 à Lillebonne, mais passe son enfance à Yvetot, en Normandie. Issue d’un milieu social modeste, elle fait des études en lettres, devient professeure certifiée, puis agrégée de lettres modernes. Son premier roman, Les Armoires vides (1974), annonce déjà le caractère autobiographique de son oeuvre. Mêlant l’expérience personnelle à la grande Histoire, ses ouvrages abordent l’ascension sociale de ses parents (La Place, La Honte), son mariage (La Femme gelée), sa sexualité et ses relations amoureuses (Passion simple, Se perdre), son environnement (Journal du dehors, La Vie extérieure), son avortement (L’Événement), la maladie d’Alzheimer de sa mère (Je ne suis pas sortie de ma nuit), la mort de sa mère (Une femme) ou encore son cancer du sein (L’Usage de la photo, en collaboration avec Marc Marie), construisant ainsi une oeuvre littéraire «auto-socio-biographique».


Historique des prix reçus:


1984 - Prix Renaudot, La Place
2008 - Prix Marguerite-Duras, Les Années
2008 - Prix François Mauriac de la Région Aquitaine, Les Années
2008 - Prix de la langue française, l’ensemble de son oeuvre
2014 - Docteur honoris causa de l’université de Cergy-Pontoise

Bibliographie complète

Les armoires vides (1974)
Ce qu’ils disent ou rien (1977)
La femme gelée (1981)
La place (1983)
Une femme (1988)
Passion simple (1991)
Journal du dehors (1993)
Je ne suis pas sortie de ma nuit (1996)
La honte (1997)
L’événement (2000)
La vie extérieure (2000)
Se perdre (2001)
L’occupation (2002)
L’usage de la photo (2005)
Les années (2008)
Écrire la vie (2011)
L’autre fille (2011)
L’atelier noir (2011)
L’écriture comme un couteau, entretien avec Frédéric-Yves Jeannet (2011)
Retour à Yvetot (2013)
Regarde les lumières mon amour (2014)
Le vrai lieu, entretiens avec Michelle Porte (2014)

Mon avis

J'ai découvert Annie Ernaux lors d'une lecture de son roman "Les années"  qui parle de l'absence de sa mère à l'occasion de l'intime festival à Namur l'an dernier.

L'écriture de "La Place" débute à la suite de la disparition de son père.

Quelle fut sa place dans sa famille ? dans la société ? dans le monde ?  Quelle place ce père a-t-il réservé à sa fille ?  La place du père, la place de la fille.... Chacun à sa place... Reste à ta place ... lui disait-il souvent.  Que cache ce titre ?

Il nous raconte la vie de ce père et la distance créée entre lui et sa fille.  Un bel hommage.

Son père était un homme dur, il est décédé à l'âge de soixante-sept ans, il tenait un café-alimentation.
Toute sa vie il a essayé de s'élever, de fuir ses modestes origines.

Souvenez-vous des romans de Proust et Mauriac nous décrivant une époque qui nous semble bien lointaine, des conditions de vie difficiles, dures , c'est ce qui a bercé l'enfance de son père, paysan, charretier illettré.   Alors lorsque son fils eut l'âge de 12 ans, ayant lui obtenu son certificat d'études, il fut retiré de la scolarité et placé comme garçon de ferme. Une bouche de moins à nourrir... et puis à quoi bon les études.

Après la grande guerre, il travaillera à l'usine, dans une corderie. Première victoire et  sortie du premier cercle.

Il continuera son ascension sociale en reprenant un café-épicerie.  Sa vie fut une lutte continuelle pour s'élever, ne pas retomber dans ses origines.

Lorsque notre narratrice s'élèvera à son tour en poursuivant ses études, elle prendra le relais du rêve de son père mais le fossé entre les deux mondes se creusera.

La communication sera plus difficile, le vocabulaire et le langage étant différents, chacun restera à sa place. Lorsque l'on fait partie des gens simples, on le reste en quelque sorte, il y a des choses qui ne trahissent pas...

Un roman dont l'écriture très dépouillée est la force .  La plume est sobre, forte, pudique , toute en puissance.  Un court récit magnifique où la honte d'avoir des parents simples se transforme en hommage, respect et fierté.

Un




Dans le cadre du challenge pour vider ma pile à lire, une lecture commune avec Sur la route de Jostein, son avis est ici









Les jolies phrases

Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue de l'adolescence entre lui et moi.  Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom.  Comme de l'amour séparé.

L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.

Comme la propreté, la religion leur donnait la dignité.

Par le régiment mon père est entré dans le monde...un uniforme qui les faisait tous égaux.

Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j'ai vécu aussi. Et l'on n'y prenait jamais un mot pour un autre.

Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d'aussi mauvais effet que de lâcher un pet.

Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancoeur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent.


La peur d'être déplacé, d'avoir honte. Un jour, il est monté par erreur en première avec un billet de seconde.  Le contrôleur lui a fait payer le supplément.  Autre souvenir de honte : chez le notaire, il a dû écrire le premier "lu et approuvé", il ne savait pas comment orthographier, il a choisi "à prouver".  Gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour.  L'ombre de l'indignité.


Chaque composition réussie, plus tard chaque examen, autant de pris, l'espérance que je serais MIEUX QUE LUI.

Un jour : "Les livres, la musique, c'est bon pour toi.  Moi, je n'en ai pas besoin pour vivre.

Peut-être sa plus grande fierté, ou même, la justification de son existence que j'appartienne au monde qui l'avait dédaigné.

5 commentaires:

Jostein a dit…

Je me suis aussi posée la question sur le titre du récit. Effectivement il résume bien la problématique du livre.
C'est un très bel hommage au père écrit dans une langue simple et efficace.
Preuve que la simplicité ( comme celle de ses origines) fait mouche, apportant de la force et de l'humilité.
Merci pour cette lecture commune.

Brigt a dit…

J'avais aussi beaucoup aimé ce récit. A lire aussi d'Annie ERNOUX : "Une femme" consacré à sa mère.

Michel Torrekens a dit…

Je viens de terminer Les armoires vides, où l'on retrouve ce père dans le café-épicerie. Un très beau roman, à lire également si l'on souhaite retrouver le plaisir trouvé à la lecture de La Place.

nathalie vanhauwaert a dit…

Une femme est en bonne place dans ma PAL. Merci pour ta suggestion Michel, il se trouve dans la bibliothèque de ma maman. Je garde l'idée dans un petit coin de ma petite tête.

Sorel a dit…

Je comprends mieux le titre maintenant à force de lire des billets de blog. Une jolie lecture juste sans fioritures.