Rouergue - La Brune
Parution : janvier 2020
Pages : 144ISBN : 978-2-8126-1945-8
Prix : 16.50 €
Présentation de l'éditeur
Dans ce roman inspiré d’un fait divers, Samira Sedira nous fait entendre la femme de l’assassin, cette Anna qui porte l’opprobre de n’avoir rien deviné, rien empêché. Lors du procès, elle tente de comprendre la mécanique infernale qui a mené Constant, son amour de toujours, à une telle folie meurtrière, explorant aussi l’enfermement d’une petite communauté villageoise vivant en huis clos où l’autre – par sa condition sociale, sa couleur de peau, son appétit de vivre – subjugue et dérange… jusqu’au meurtre.
L'auteure
© Sabrina Mariez
Née en Algérie, formée à l’école du Centre dramatique national de Saint-étienne, Samira Sedira est comédienne et écrivain. Elle vit en banlieue parisienne. (source : Rouergue éditions)
Mars 2013 son premier roman : "L'odeur des planches" ( Prix Beur FM Méditerranée 2014)
Mars 2016 "Majda en août"
Mars 2018 " La faute à Saddam" troisième roman tous chez Rouergue La Brune. En 2019, elle a reçu le prix Exbrayat des lycéens.
Mon avis
C'est un court roman puissant que nous propose Samira Sedira. Il est inspiré librement de l'affaire Flactif qui s'est déroulée au Grand Bornand en 2003.
Constant Guillot est dans le box des accusés pour avoir décimé violemment la famille Langlois composée de cinq personnes. C'est Ana, sa compagne depuis seize ans qui à la première personne nous raconte le récit. Elle essaie de comprendre comment son compagnon en est arrivé là et surtout pourquoi elle n'a rien vu venir.
Quelles sont les raisons de son geste ?
D'une part le procès, d'autre part elle revient sur sa rencontre avec Constant et le début de leur histoire.
Les Langlois sont arrivés au village de Carmac situé en pleine montagne en juillet 2015. Bakary Langlois est originaire du Gabon, il a été adopté à l'âge de 4 ans.
Crime racial ? une première piste...
C'est au mariage de Simon qu'ils ont fait connaissance. Il faut dire qu'au village, c'est une communauté qui vit en vase clos, tout le monde se connaît.
Fin juin 2016, Bakary, Sylvia et les trois enfants s'installent juste en face de chez Ana et Constant. Le chalet qu'ils ont fait construire est énorme, limite ostentatoire. Ils le visiteront à la crémaillière. Constant est comme fasciné par la personnalité de Bakary, il s'entend bien avec lui malgré leur différence de mode de vie. Faut dire qu'Ana et Constant ont du mal à nouer les deux bouts et Bakary et Sylvia s'affichent dans le luxe et l'opulence.
Seconde piste : fracture des classes sociales ?
Tout va bien jusqu'au jour où cherchant quelqu'un pour faire le ménage, Ana se propose et Constant se met en colère. Pour quelles raisons ? L'orage commence t-il à couver ?
Crime racial, fracture sociale, jalousie, mépris ? Où la raison de ce quintuple meurtre est-elle à chercher ailleurs?
Samira Sedira avec sa plume fluide et percutante, une écriture ciselée nous propose un récit remarquablement bien construit. Elle nous dresse le portrait d'un homme normal et ordinaire qui soudain bascule en devenant quintuple assassin.
Dans ce portrait, elle apporte beaucoup d'humanité revenant sur des moments du passé, des petites scènes de la vie très heureuses comme le réveillon, la fête au village mais aussi l'accumulation du mépris, le manque de considération qui petit à petit crée une fracture, des failles et amène Constant à l'irréparable.
C'est haletant, percutant. J'ai beaucoup aimé.
Ma note : 9.5/10
Les jolies phrases
On reproche tout à une femme de meurtrier : son sang-froid quand elle devrait montrer plus de compassion ; son hystérie quand elle devrait faire preuve de retenue; sa présence quand elle devrait disparaître ; son absence quand elle devrait avoir la décence d'être là, etc Celle qui, du jour au lendemain, devient "la femme du meurtrier" endosse une responsabilité presque plus accablante que le meurtrier lui-même, puisqu'elle n'a pas su déceler, à temps, la bête immonde qui sommeillait en son conjoint.
C'est au cours de cette nuit affreuse que j'ai réalisé que tu étais devenu indissociable de moi, puisqu'un jour je t'avais aimé et que l'histoire de ta vie avait rejoint l'histoire de la mienne dans un irréparable malheur.
En réalité, je n'avais aucun talent pour soigner. J'avais choisi de devenir infirmière parce que ma mère l'était, mais je me suis vite rendu compte qu'on ne pouvait exercer ce métier que si on avait, vissé au coeur, ce besoin irrépressible de réparer les autres. Je n'étais pas de celles-là.
J'étais en fureur. Oui. C'est quoi la fureur pour vous Monsieur Guillot ? On pense plus, on étouffe, on cherche de l'air.
Il y a des musiques qui nous emportent sans qu'on sache par où elles nous attrapent. Dancing Queen étaient de celles-là. C'était la première fois qu'on dansait ensemble, tous les six, sur cette chanson, mais ce qu'elle éveillait en chacun de nous cueillait avec la même fulgurance qu'une photo de jeunesse. Elle symbolisait ce que nous avions perdu, et cette nostalgie que nous partagions nous rappelait que nous avions traversé le monde au même moment. Traverser le monde au même moment, c'est pas rien quand on y pense. Dans un élan de communion, et sans nous lâcher du regard, on s'est mis à danser sans retenue. A chaque fois qu'on hurlait le refrain, c'était en réalité notre amour et notre désir désespéré d'éternité qu'on gueulait. Nous n'avions jamais été si proches qu'en cet instant, et si Dancing Queen avait pu résonner jusqu'à la fin des jours et nous préserver de la dureté des événements, jamais nous aurions eu à en souffrir.
Hélas les chansons ne durent pas. Quand brusquement elles s'arrêtent, la brutalité du monde nous apparaît, et nous devons continuer sans elles. Aujourd'hui, quand je repense à ce moment, les larmes me viennent, et je ne peux m'empêcher de les voir comme un prélude au drame.
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