Les passantes - Michèle Gazier ♥♥♥♥♥
Mercure de France - Bleue
Parution : 03 septembre 2020
Pages : 176
Isbn : 9782715254473
Prix : 16.50 €
Présentation de l'éditeur
Montpellier. Madeleine, Évelyne, Lilas, Léonor et Joseph sont infirmiers dans un cabinet médical. Parmi leurs patients, beaucoup de personnes âgées à qui ils prodiguent des soins, bien sûr, mais apportent surtout un peu de chaleur humaine. Ils se relaient auprès d’eux, créant un périmètre de protection. Parfois, il en faudrait peu pour qu’ils se laissent submerger. S’oublier et se perdre eux-mêmes, et ce serait alors tout un édifice fragile d’aide et d’assistance qui risquerait de vaciller…
Dans ce roman bouleversant, Michèle Gazier rend un hommage délicat à ces femmes qui sont des passantes des temps modernes, aux avant-postes de la solidarité et de l’altruisme.
Michèle Gazier
Photo John Foley (source livres hebdo)
Michèle Gazier est née en 1946 à Béziers, elle est écrivaine, traductrice, critique et éditrice.
Elle a fondé avec Marie-Claude Char les éditions du Busclats en 2010.
Elle a entre autres écrit :
Romanciers du XXe siècle, essai (1990)
Écrivains du XIXe siècle, essai (1991)
En sortant de l’école, nouvelles (1992)
Histoire d’une femme sans histoire (1993)
Nativités (1995)
Un Cercle de famille (1996)
Sorcières ordinaires (1997)
L’Été du secret (1999)
Le Merle bleu (1999)
Les Vitrines Hermès (1999)
Le Fil de soie (2001)
Les Garçons d'en face (2003)
Colette Deblé (2003)
Parle-moi d'amour, collectif (2004)
Mont-Perdu (2005)
En souvenir de vous (2006)
Un soupçon d’indigo, (2008)
L’Espagne / Écriture visuelle (2008)
Abécédaire gourmand (2008)
Noir panthère (2008)
La Fille (2010)
Le Goût de la lecture (2010)
Nathalie Sarraute, l’après-midi (2010)
L’Homme à la canne grise (2012)
Le Goût des mères (2012)
Les Convalescentes (2014)
Noir et Or, avec Pierre Lepage (2015)
Le Goût du mariage (2015)
Silencieuse (2017) , Prix du Salon du Livre de Chaumont, 2017
source Wikipédia
Mon avis
C'est avec ce roman que je découvre la plume de Michèle Gazier et c'est d'emblée un coup de cœur pour cette écriture empathique, fluide, pudique, tout en retenue. Un très beau roman qui rend hommage aux soignants, aux infirmier.è.r.es à domicile.
Montpellier, Madeleine avec Lilas, Joseph et Léonor en remplacement d'Evelyn en congé de maternité dirigent un service de soins à domicile.
Leurs journées ne sont pas de tout repos, tournée du matin jusqu'au soir bien remplies pour prodiguer les soins aux malades, postopératoires, pansements à refaire, toilettes, piqûres à domicile. C'est leur quotidien avec une semaine de récup toutes les quatre semaines.
Un métier, une passion, un véritable don de soi. Infirmière c'est ingrat , parfois c'est être ouvrière de la médecine, mais c'est aussi la personne qui rassure, la plus accessible, avec qui on a le plus de contact.
Dans l'équipe dirigée par Madeleine tout roule bien, c'est l'harmonie. Il y a Joseph, le joli cœur de ces dames, la jeune Lilas efficace et compétente, et Evelyn qui est en congé de maternité. Pendant son absence, c'est Léonor, sa tante, expérimentée plus très loin de la retraite qui a temporairement rejoint l'équipe.
Tout allait bien jusqu'à l'arrivée d'une nouvelle patiente: Madame Marie Prat, elle est diabétique et a besoin d'une piqûre d'insuline matin et soir. Elle est très froide, distante, imbuvable sauf avec Lilas. Léonor pense avoir reconnu non pas Marie mais Esther, originaire de Céret, en Pyrénées Orientales. Il y avait eu un drame dans cette famille il y a très très longtemps. Cette patiente intrigue l'équipe, Madeleine et Léonor sont tendues à ce sujet. Mais qui est cette mystérieuse patiente ?
C'est une partie de l'intrigue mais le plus important dans ce magnifique roman est le quotidien du personnel de soins. Michèle Gazier détaille à merveille leur rôle, leur vécu, leur ressenti.
Le premier contact est important, il faut en un minimum de questions apprendre un maximum sur le patient.
Être soignant, c'est faire abstraction des volées d'escaliers, des ascenseurs en panne, des portes closes, des odeurs : de renfermé, de camphre, d'urine, de soupe, de vieux. C'est un vrai sacerdoce, un don de soi, savoir passer d'un passant à un autre, arriver et partir. "Faire un maximum puis oublier, ne pas s'attacher."
Un métier ingrat où il ne faut se protéger de la compassion, ne pas sombrer dans la douleur de l'autre. S'occuper des autres est aussi une manière de fuir, de se fuir.
Beaucoup d'humanité dans ce récit que je vous conseille vivement. C'est beau.
Encore un coup de coeur ♥♥♥♥♥
Les jolies phrases
Le malheur fait fuir la jeunesse.
Je ne voulais plus faire plaisir mais me faire plaisir.
Le premier jour de pause est toujours porteur d'angoisse. Je me sens comme une voiture lancée à deux cents à l'heure, obligée de freiner net. Alors, je dérape un peu. Me voilà confrontée sans douceur à la solitude qui est la mienne. Solitude voulue, recherchée, c'est du moins ce que je me plais à répéter.
Ensemble, nous avons partagé des lumières bleues, le silence absolu de la nature et ces nuits artificielles où tout semble s'arrêter, avant que peu à peu la lumière ne revienne en quartiers d'oranges vives dans le ciel bouleversé.
Les gens ne sont plus que leur maladie, leur vieillesse, les soins qu'ils requièrent. La déshumanisation s'exprime plus qu'ailleurs dans la langue.
Il faut d'abord chercher en nous les racines de nos malaises.
L'infirmière passe d'un patient à un autre. Elle ne cesse de partir et d'arriver. D'arriver et de partir.
Partir est le mot clé de mon vocabulaire intime. Partir pour fuir. Se fuir. Quelle blague. On n'est jamais plus soi-même que lorsqu'on est loin de son port d'attache, de ses racines, de sa vie ordinaire. Ce qui me plaît dans le partir, c'est quitter le quotidien et tous ceux qui en sont la chair. Les individus, pas ma fonction auprès d'eux. Je suis infirmière et j'aime l'être car je crois encore qu'on peut réparer les vivants. Au propre et au figuré.
On a souvent évoqué ma générosité, mon empathie, mais c'est oublier que donner, se donner est le moyen le plus sûr de garder de la distance. De se soustraire.
J'avais oublié la règle d'or de mon métier. Faire le maximum puis oublier, ne pas s'attacher.
C'est étrange comme la nudité, les corps fatigués, meurtris, déformés, blessés de mes patients me semblent plus difficile à regarder, à toucher, ici dans les lieux de leur vie ordinaire, leurs appartements parfois vétustes, parfois opulents, meublés, décorés et qui sont les écrins plus ou moins plaisants de leur longue vie.
Dans le fond, je suis comme beaucoup de nos vieilles personnes, seule malgré l'enfant ou les enfants mis au monde. Un jour, ce constat de solitude, d'éloignement, qui me pisse juste un peu par le coeur, me fera vraiment souffrir. Ne pas y penser. S'en tenir à la sagesse orientale. Vivre une minute après l'autre, une heure après l'autre, et faire en sorte que chaque minute, chaque heure soit un commencement.
L'hôpital entre avec nous chez les vieux, insidieusement, sur nos talons. Et ils passent, sans à peine y penser, du confort voluptueux du lit profond à la rigueur du lit médicalisé. Tout un trajet de vie est là, dans ce simple passage, dans ce changement de décor.
J'ai toujours préféré la sympathie à l'empathie. Ne voit-on pas mieux les choses et les gens avec un minimum de recul ? Je paye le prix de cette froideur que j'ai choisie. Souriante et froide. Professionnelle. On me respecte mais on ne m'aime pas. Ai-je besoin d'être aimée? Avant, lorsque j'étais jeune, j'aurais répondu non sans hésiter. Aujourd'hui, je suis moins catégorique. Je ne sais plus.
Sans doute me suis-je construite sur ces demi-silences dont je n'ai jamais souhaité réveiller les murmures. Car les silences bruissent pour qui sait les entendre.
S'occuper des autres est aussi une manière de se fuir, non ?
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