dimanche 16 septembre 2018

Tenir jusqu'à l'aube - Carole Fives

Tenir jusqu'à l'aube      -   Carole Fives



Gallimard
L'arbalète
Parution : le 16 août 2018
Pages : 192
ISBN : 9782072797392
Prix : 11.99 €

Présentation de l'éditeur

«Et l'enfant ?
Il dort, il dort.
Que peut-il faire d'autre ?»

Une jeune mère célibataire s'occupe de son fils de deux ans. Du matin au soir, sans crèche, sans famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation fusionnelle. Pour échapper à l'étouffement, la mère s'autorise à fuguer certaines nuits. À quelques mètres de l'appartement d'abord, puis toujours un peu plus loin, toujours un peu plus tard, à la poursuite d'un semblant de légèreté.
Comme la chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, mais pour combien de temps encore?
On retrouve, dans ce nouveau livre, l'écriture vive et le regard aiguisé de Carole Fives, fine portraitiste de la famille contemporaine.


Carole Fives nous en parle




Mon avis

Roman de la rentrée, auteure découverte grâce à l'intime festival dont elle était l'invitée en août dernier.

Roman coup de poing, qui fait prendre conscience du sort des mères célibataires, du poids qui pèse sur leurs épaules, du risque de précarité et du regard de la société les concernant.

J'ai pris une claque en lisant ce récit d'une mère solo avec son fils de deux ans.  Ne pas pouvoir s'évader lui pèse, ce huis-clos perpétuel avec un fils difficile en manque de père, possessif, exclusif, réclamant sans cesse d'avoir sa maman à côté de lui "à côté, à côté"..  Ne jamais pouvoir souffler, avoir un moment de répit, pas simple.

Elle, car c'est à la troisième personne que l'auteure nous en parle, nous décrit son quotidien.

Peu à peu, elle veut retrouver un peu de liberté, retrouver sa vie d'avant.  Alors la nuit elle s'évade.  Elle s'octroie un peu de temps pour elle, marchant simplement dans les rues à la recherche de ce sentiment de liberté.  Quelques minutes d'abord, puis un peu plus à chaque fois.

En parallèle, elle raconte "La chèvre de Monsieur Seguin" à son fils, cette chèvre éprise elle aussi de liberté.  La fable raisonne,  se fera-t-elle aussi manger par le loup ?  Quelle sera la conséquence de ces petits moments d'évasion ?

La réponse vous l'aurez en lisant ce très beau roman.

Beaucoup de sujets abordés, la difficulté de travailler en étant 24h/24 avec son fils car difficulté de trouver une place dans une crèche, ce qui a un effet boule de neige ; moins de travail, moins de moyens, plus de fatigue mentale et physique,  un enfermement social et moral.

J'ai été interpellée par les réactions sur les forums internet, en utilisant les recherches concernant les vocables mère solo (et sortie), mère solo et argent, mère solo et disparaître ou encore mère solo et autorité, père absent, plutôt que de trouver aide et réconfort, la plupart des réactions condamnent la mère en détresse, l'enfoncent au lieu d'être solidaire.

Un très bon livre de la rentrée, une plume vive.  De courts chapitres, c'est dynamique, cela me donne envie de découvrir le répertoire de Carole Fives.

Ma note : 9/10


Les jolies phrases

On les a voulus les loulous, on les a désirés, et eux, ils n'ont rien demandé.  Il faut relever la tête, assumer et assurer.

Qu'est-ce qu'on ferait sans eux ? Tout ce qu'on faisait avant !

Le petit est devant la télé.  La moins chère des babysitters, à défaut d'être la meilleure.

Ces promenades les laissaient hagards, défaits, le plaisir de la sortie était gâché, il fallait traverser quelques rues encore, puis le grand hall de la résidence et ses mosaïques au sol, se jeter dans l'ascenseur et regagner leur dernier étage, leur huis clos, leur petit enfer quotidien. 

L'enfant avait besoin de l'affection de ses deux parents pour grandir, comme de ses deux jambes pour marcher.

Solo, c'est moins sinistre que seule. Solo, ça renouvelle la figure de la mère célibataire, larguée, quittée, abandonnée, ça éloigne le cliché misérable de la fille-mère, de l'adolescente promenant son landau sur un trottoir défoncé du nord de la France.

Désormais un seul mot d'ordre, ne pas tomber malade, on ne pouvait pas se le permettre. 

Un matin qu'ils avaient passé la nuit côte à côte, elle était partie seule, sur les bords de la Saône.  Il faisait beau, et elle était pareille à cette rivière, profonde, escarpée, prête à se jeter dans le premier fleuve venu. Ce matin-là, quelle joie.  Quelle joie de penser à lui, à eux, à l'avenir qui s'ouvrait enfin.

C'était sans doute dans ces moments-là que l'envie de fuir était la plus forte.  Quand elle réalisait qu'elle ne supportait plus cet unique rôle où on la cantonnait désormais, dans un film dont elle avait manqué le début, et qu'elle traversait en figurante.  C'était alors que les fugues s'imposaient, comme une respiration, un entêtement.

Avoir un corps.  Un corps sans enfant qui s'y cramponne.  Un corps sans poussette qui le prolonge.  Ça lui a paru étrange lors de ses premières sorties.  Elle s'était sentie nue, vulnérable.  Comme si on l'avait amputée de quelque chose, d'une extension quasi naturelle d'elle-même. 




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