samedi 13 juin 2020

Les frères Lehman - Stefano Massini ♥♥♥♥♥

Les frères Lehman  -  Stefano Massini  ♥♥♥♥♥


Globe édition
Traduit de l’italien
par Nathalie Bauer
Parution : 05/09/2018
Pages : 848
Isbn : 978-2-211-23513-6
Prix : 24 €

Présentation de l'éditeur

11 septembre 1844, apparition. Heyum Lehman arrive de Rimpar, Bavière, à New York. Il a perdu 8 kg en 45 jours de traversée. Il fait venir ses deux frères pour travailler avec lui.


15 septembre 2008, disparition. La banque Lehman Brothers fait faillite. Elle a vendu au monde coton, charbon, café, acier, pétrole, armes, tabac, télévisions, ordinateurs et illusions, pendant plus de 150 ans.

Comment passe-t-on du sens du commerce à l’insensé de la finance ? Comment des pères inventent-ils un métier qu’aucun enfant ne peut comprendre ni rêver d’exercer ?

Grandeur et décadence, les Heureux et les Damnés, comment raconter ce qui est arrivé ? Non seulement par les chiffres, mais par l’esprit et la lettre ?

Par le récit détaillé de l’épopée familiale, économique et biblique. Par la répétition poétique, par la litanie prophétique, par l’humour toujours.

Par une histoire de l’Amérique, au galop comme un cheval fou dans les crises et les guerres fratricides.

Comment prendre la suite de Yehouda Ben Tema qui écrivit dans les Maximes des Pères :
« Tu auras cinquante années pour devenir sage.
Tu en auras soixante pour devenir savant » ?

Nous avons 848 pages et environ 30 000 vers pour devenir instruits, circonspects, édifiés. Groggy.


Les Lehman brothers étaient trois frères - Ép. 1/10 ...  

L'auteur





Né en 1975, Stefano Massini est l’un des plus grands dramaturges contemporains et l’auteur italien le plus représenté sur les scènes du monde entier. Il a remporté sept prix de la critique en France, Italie, Allemagne et Espagne, et ses textes ont été traduits dans quinze langues. En 2015, il succède à Luca Ronconi, en tant que conseiller artistique du Piccolo Teatro de Milan, Théâtre d’Europe.
Les Frères Lehman, son premier roman, a été récompensé en 2017 du prix de la sélection Campiello. Il a remporté la même année le prix littéraire international Mondello et le prix Vittorio De Sica.

Photo : © D.R.
Source : éditions Globe 

Mon avis

Cela faisait longtemps que je voulais découvrir ce gros pavé de plus de 800 pages qui raconte de manière originale l'histoire de la famille Lehman.

11 septembre 1844, après 45 jours de traversée parti du Havre, Heyu Lehman devient Henry Lehman en foulant le sol de New York.

Henry Lehman, fils d'un marchand juif de bestiaux arrive de Rimpar en Bavière.  Il s'installera à Montgomery en Alabama.  Il est âgé de 26 ans, il ouvre une toute petite boutique, minuscule, où il vend tissu, chapeaux, casquettes...  Il est ouvert le dimanche, travaille comme un fou sauf le jour du shabbat.

Il fera venir ses jeunes frères Mendel (Emanuel) et Mayer.  Ensemble ils construiront l'empire Lehman, au départ du négoce de coton dans le sud. Toujours d'avant-garde, ils innoveront en passant par le commerce du café, du pétrole, l'industrie et bien d'autres domaines.

Ils créeront un nouveau métier, celui d'intermédiaire avec pour objectif acheter et revendre et toujours gagner plus.  Des trois frères au départ, nous suivrons trois générations.

Avec l'histoire de cette famille, c'est l'histoire de l'Amérique que l'on suit, celle des esclaves dans les plantations du Sud, les guerres, mais aussi la révolution industrielle, l'évolution du progrès, la prohibition, la naissance de la bourse, le crash de 1929 et la soif des Lehman d'anticiper, de faire les bons choix pour toujours aller de l'avant.

Ce récit c'est aussi l'histoire du capitalisme, du modèle américain.  Lorsque tout est détruit par le feu ou par les guerres, on recommence, on reconstruit et on consomme en créant des besoins.

Autre intérêt du livre, on apprend également énormément de choses sur la place de la religion juive dans la société, les rites, l'évolution au temple.

L'originalité de ce récit réside dans sa forme.  Ce ne sont pas moins de 30.000 vers qui le composent, ils se présentent comme des versets bibliques nous présentant comme une religion, un nouveau livre sacré;  la bible du capitalisme.

Des vers, des litanies, des ritournelles , des paraboles que l'on répète et ressace comme un mantra jusqu'à la conversion au monde de la finance.  Cela donne un rythme.
Ode à l'argent sous forme d'un livre sacré.

C'est poétique, jouissif, et ce qui ne gâche rien, empli d'humour.  On sourit, on rit même par moments.
Pure moment de délectation.

Un récit hors norme qu'on a parfois envie de lire à voix haute.  Je vous le conseille vivement, le tout est magistral !

Un tout grand merci à Nathalie Bauer pour la traduction.

Ma note :  un gros coup de ♥♥♥♥♥

   
Emanuel  Lehman     Lehman, Durr & Co., ca. 1874  source  

Les jolies phrases



La nourriture est un bon gagne-pain,
puisque les hommes, Henry, auront toujours faim 
... On gagne de l'argent avec ce qu'on est bien obligé d'acheter...

L'amour est invisible
mais, l'odeur de l'argent,
même un aveugle la sent.

De toute façon, le marché du coton
marche à merveille,
car l'astuce - la vraie -
consiste à vendre ce que l'homme est obligé d'acheter.


"Si le ciel veut pleuvoir,
peu importe
par quel nuage il commencera"


"L'argent se trouve dans le portefeuille des gens, Mayer :
si tu veux qu'ils nous le donnent,
nous devons être prêts,
prêts à donner en échange..."

"Donner quoi ?"

"Bof.  Je ne sais pas.
Ce dont ils ont besoin. Ce qu'ils désirent.
Mayer, n'importe quoi."

"C'est justement ce qui me déplaît."

Car
voilà que
dans cette ville condamnée à parler
on a ouvert
un endroit tout neuf
gigantesque
qui se trouve à Wall Street,
et s'appelle
"STOCK EXCHANGE".

Ce qui veut littéralement 
qu'on y échange des matières premières.

Mais les matières premières
n'y sont pas !
Il y a juste leur nom
écrit partout,
comme s'il était écrit
au-dessus d'une boutique 
ECHANGE DU PAIN
et qu'il n'y eût pas de pain à l'intérieur,
ou "ECHANGE DE FRUITS"
et qu'on n'y vît même pas un trognon de pomme.

Ce qui compte
on le sait
c'est la valeur, pas l'argent.


Le premier : quand nous étions dans le commerce
les gens nous donnaient de l'argent
et nous leur donnions quelque chose en échange.
Maintenant que nous sommes une banque
les gens nous donnent de l'argent
mais en échange nous ne leur donnons rien.
Du moins pour le moment.  Par la suite on verra.

Le second : quand nous étions dans le commerce
il suffisait de montrer à nos enfants
un rouleau de tissu
un chariot de sucre
un baril de café
pour qu'ils comprennent en quoi consistait notre métier.
Maintenant que nous sommes une banque
nous avons beau chercher nos mots
nos enfants ne comprennent pas, ils renoncent et vont jouer.
Jouer, justement.

Au fond, au fond"
songe Mayer Lehman


..boire un verre d'eau est une chose
boire la mer en est une autre.

Il était une fois, Bobbie, un parapluie.
Le parapluie coûte 3 dollars.
Mais si le New York Times annonçait
soudain
"tempête pendant deux mois"
que se passerait-il ?
Tout le monde s'arracherait les parapluies
et leur prix augenterait
parce que personne ne veut se mouiller
et toute dépense est bonne pour éviter d'être trempé.
Tu aimes ce jeu ? Bien.
Imagine maintenant que soudain
le bruit commence à courir
que les parapluies attirent la foudre...
Qui voudrait encore d'un parapluie ?
Mieux vaut mille fois un imperméable...
Et le prix des parapluies baisserait énormément.
Parfait, cher Bobbie : tout est là.
La banque qui porte ton nom de famille
est identique au parapluie, vois-tu.
A la bourse nous sommes sans cesse évalués :
ceux qui croient en nous achètent un petit bout de ton nom
qu'il peut garder ou vendre
(ça s'appelle "action", Bobbie, ne l'oublie pas).
Si la banque est saine, si elle est forte
ses actions seront précieuses
et personne ne voudra les vendre.
Mais si la société dérape
- car le bruit court qu'elle attire la foudre ! -
ceux qui ont des actions les vendront
pour récupérer leurs sous.
Cette chose -affreuse - se nomme krach.
Plus ou moins comme un cheval
qui, s'il ne gagne plus, perd de la valeur
mais qui, s'il triomphe, vaut une fortune.
Tu as compris? Voilà, Robert,
je voudrais que Lehman Brothers
devienne justement
une grande écurie
de chevaux qui ne savent que gagner.

"Rendre le monde meilleur,
car au fond dans quoi investissons-nous ?
Dans l'esprit de l'homme, dans son génie,
dans sa capacité extraordinaire de créer."

La guerre est comme la fièvre, car cousin
elle ennuie mais purifie le corps.
Et quand la température redescend
on est mille fois mieux qu'avant.

La loi de la richesse fait partie de la société humaine
on ne peut le changer, même si ça te déplaît."

"Parler d'éthique avec un banquier est absurde.
Je te mets en garde, si tu veux le comprendre :
vous êtes en train de créer un système monstrueux
qui ne pourra pas résister longtemps.
Des industries partout, des usines partout :
à qui vendra-t-on si la plupart des gens sont pauvres ?
Vous aimez à penser que l'Amérique est riche
imaginer le monde entier sur le chemin du bien-être
mais quand ouvrirez-vous les yeux ?
Quand  il sera trop tard ? "

Aucun commentaire: