dimanche 2 mai 2021

Si les dieux incendaient le monde - Emmanuelle Dourson

Si les dieux incendiaient le monde - Emmanuelle Dourson







Grasset
Parution : 13 janvier 2021
Pages : 256
Isbn : 9782246823643
Prix : 20 €


Présentation de l'éditeur

Une famille déchirée que le destin va rassembler lors d’une extraordinaire soirée.

Il y a Jean, le père ; Clélia, sa fille aînée ; Albane, la cadette que personne n’a revue depuis que sa sœur lui a volé l’homme qu’elle aimait, quinze ans plus tôt ; Yvan, que Clélia a épousé depuis. Et Katia, leur fille, qui de cette tante disparue sait ceci : elle vit à New York, est devenue une célèbre pianiste, son souvenir hante encore ses parents. Leurs vies basculent le jour où Jean apprend qu’Albane doit donner un concert à Barcelone et décide de s’y rendre. Chacun, à sa manière, devra y assister.

Magistral, ce premier roman est une prouesse littéraire, une épopée où d’une voix, celle de l’énigmatique narratrice, le destin d’une famille est retracé avant d’être à nouveau chamboulé. Y gronde la rumeur de notre monde incendié, appelé lui aussi à se retrouver pour survivre.


Emmanuelle Dourson  nous en parle




Née en 1976 à Bruxelles, Emmanuelle Dourson a fait des études de lettres. Si les dieux incendiaient le monde est son premier roman.




 

Palau de Musica                                                     Opus 111  Beethoven




Mon avis

C'est un premier roman pour ma compatriote Emmanuelle Dourson.

C'est sous forme d'un roman choral, que dis-je d'une symphonie familiale que nous est proposée cette petite pépite. Un livre riche et exigeant où la musique, la littérature et l'art occupent une partie majeure.

Il s'agit d'un double drame familial qui unit les différents membres de la famille, drame dont la narratrice principale Mona nous échappe au début... J'avoue que cela m'a un peu dérouté.    Elle se dévoile au fil des chapitres, elle qui nous parle du passé, de ce qui a détruit cette famille mais aussi de demain et de l'espoir porté pour que réparation soit faite et ses regrets oubliés.

Chapitre après chapitre avec chaque personnage ayant une voix bien spécifique, on entre littéralement dans leur tête, dans leurs pensées et comprend ce qui les relie les uns aux autres.

Il y a Jean, le père impotent, en introspection dans la contemplation de son tableau de Smargiassi et les mots de Nabokov, Clélia sa fille la soeur d'Albane - se préoccupant du réchauffement climatique , absente, en fuite en Ethiopie, Yvan le beau-frère mari de Clélia , premier amour d'Albane, Katia, la nièce fille de Clélia - une ado qui se cherche- et enfin Albane la fille cadette de Jean.

Albane a fui l'Europe il y a 15 ans sans adresse gardant comme lien l'unique carte postale de voeux annuelle.

Chaque protagoniste a entendu l'info, Albane grande musicienne internationale donnera un concert au Palau de Musica de Barcelone.  Cette nouvelle va bousculer la famille et tout va basculer car chacun devra assister à cet événement à sa manière.

Ce premier roman est magistral même si j'avoue avoir eu un peu de mal à situer la narratrice au départ.  Il est surprenant, exigeant avec une structure narrative un peu perturbante mais adéquate, parfaite. 

L'écriture est poétique, fluide, imagée.  Les mots sont savamment choisis avec précision et efficacité. 

C'est un voyage auquel Emmanuel Dourson nous convie, une ode aux voyages même, que ce soit les descriptions des lieux, en particulier le Palau de Musica mais aussi dans le domaine de l'art; la peinture de Smargiassi à Vélasquez, de la littérature avec entre autre Nabokov, Homèren Jacottet et bien entendu la musique avec en particulier l'opus 111 de Beethoven.

La psychologie des personnages, leur façon de penser qui les relie les uns aux autres est puissante.  D'autres thèmes universels sont abordés comme le réchauffement climatique et la fin programmée de notre planète, la solitude, les regrets, la fuite...

Un très beau premier roman à découvrir. Un roman qui doit infuser afin de pouvoir dégager toute sa puissance et sa grandeur.

Ma note : 9.5/10  uniquement lié à mon état de concentration au début du roman



Les jolies phrases

Revoir sa fille, l'entendre et l'admirer.  Observer le fruit de ses entrailles.  Car même pour un homme vieux et un père délaissé, l'enfant qu'il avait conçu restait la chair de sa chair, et si celle-ci se détachait de lui, elle laissait une blessure.  Jean voulait retrouver l'enfant et refermer la plaie.

Pourquoi tant d'inquiétudes puisqu'un jour disparaîtrait l'étoile dont dépendait la vie ?

L'âge n'est pas un fardeau mais une chance.

Après un concert j'ai besoin de calme, je me cache dans ma loge et j'éteins tout, parfois j'allume une bougie, je dois recueillir tous ces fragments qui sont sortis de moi, je dois les rassembler, c'est une opération longue et douloureuse, je suis exangue, mais le public ne comprend pas, il vient frapper à ma porte, il a besoin de se répandre, surtout ne rien garder, et il pleure son émotion à mes pieds.

Il ne fallait pas vivre dans un mausolée, avait-elle dit, pour rester vivant on devait éloigner de soi les têtes sans force des morts.  

Une mouche s’était posée sur le pupitre de Katia, les pattes engluées dans une tache d’encre, et plus le poème s’étirait plus la tache autour de la mouche s’élargissait. Un monde inconnu s’ouvrait à la pensée, on pouvait le prolonger à l’infini, écouter ses résonances, c’était donc ça, la culture, avait-elle pensé, une tache bleue qui se dilatait, une source où venait s’abreuver l’imaginaire. On découvrait un univers parallèle, des eaux nous portaient vers des rivages insoupçonnés, on allait vivre enfin, explorer les abysses, voguer d’un courant à l’autre puis s’échouer quelque part, épuisé et ravi. On aurait gardé sur soi les traces du voyage, la clarté pâle de « l’aurore aux doigts de rose » qu’Homère avait offerte au héros aux mille ruses. On allait pouvoir peindre des fresques, dessiner des traits sur un vase, des traits fins, ceux d’un navire, rouge sur fond noir, et Ulysse attaché au mât. Du fond du vase nos descendants entendraient peut-être un jour monter le chant des sirènes.

Bien des années plus tard, quand j'avais regardé l'album avec Katia, elle m'avait demandé pourquoi j'avais l'air triste sur les photos et je lui avait parlé d'Albane, de mon amour pour elle - l'enfant chérie est toujours celle qu'on ne voit pas, celle qui s'en va.  A la place vide qu'elle avait laissée j'avais bâti des cités, des mondes, un univers, sur son absence j'avais tracé mille routes imaginaires.  J'aurais voulu garder pour moi l'enfant prodige - mes enfants n'avaient pas besoin de gloire, d'amour seulement.  Mais il n'y avait pas eu assez d'amour, il avait donc fallu la gloire. 

Le jour où il n'y aurait plus personne pour entendre les bruits, y aurait-il encore des bruits ? 

Yvan aurait-il eu raison ?  l'univers en expansion n'était-il que la dilatation du temps ? notre existence n'était-elle que l'étirement dans la durée du noyau originel où notre destin était écrit ?

Pour la vingtième fois elle tentait de se rassembler, de réunir toutes les notes comme les perles d'un collier, de les enfouir en elle pour pouvoir bientôt les distribuer.  Non pas les disperser comme le collier cassé de Clélia, mais les égrener selon un ordre précis, rigoureux et continu, presque mathématique, une ligne d'exécution tant de fois répétée que l'interprétation risquait d'être banale si Albane ne retrouvait pas le feu des premières fois.  Derrière ses paupières fermées, c'était cela qu'elle guettait au fond d'elle - la flamme qui parfois se ranimait quand elle parvenait à réduire au silence ses ruminations.










 


2 commentaires:

Anne Des mots et des notes a dit…

Si je croise la route de ce roman, je lui ferai une place !

nathalie vanhauwaert a dit…

Anne il te plaira j'en suis certaine.