lundi 25 octobre 2021

Madame Hayat - Ahmed Altan ♥♥♥♥♥

 Madame Hayat   -   Ahmed Altan   ♥♥♥♥♥




















Actes Sud
Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes
Parution : septembre 2021
Pages : 272
Isbn : 9782330154530
Prix : 22 €


Présentation de l'éditeur

Fazil, le jeune narrateur de ce livre, part faire des études de lettres loin de chez lui. Devenu boursier après le décès de son père, il loue une chambre dans une modeste pension, un lieu fané où se côtoient des êtres inoubliables à la gravité poétique, qui tentent de passer entre les mailles du filet d’une ville habitée de présences menaçantes.

Au quotidien, Fazil gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision, et c’est en ces lieux de fictions qu’il remarque une femme voluptueuse, vif-argent, qui pourrait être sa mère.

Parenthèse exaltante, Fazil tombe éperdument amoureux de cette Madame Hayat qui l’entraîne comme au-delà de lui-même. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de la jeune Sila. Double bonheur, double initiation, double regard sur la magie d’une vie.

L’analyse tout en finesse du sentiment amoureux trouve en ce livre de singuliers échos. Le personnage de Madame Hayat, solaire, et celui de Fazil, plus littéraire, plus engagé, convoquent les subtiles métaphores d’une aspiration à la liberté absolue dans un pays qui se referme autour d’eux sans jamais les atteindre.

Pour celui qui se souvient que ce livre a été écrit en prison, l’émotion est profonde.

L'auteur
















Ahmet Altan, né en 1950, est un des journalistes les plus renommés de Turquie. Son œuvre de romancier, qui a par ailleurs connu un grand succès, est traduite en plusieurs langues. Après Comme une blessure de sabre (Actes Sud, 2000) et L'Amour au temps des révoltes (Actes Sud, 2008), ses textes de prison intitulés Je ne reverrai plus le monde ont paru en 2019. Ce livre a été couronné par le prix André Malraux 2019.

Accusé pour implication présumée dans le putsch manqué du 15 juillet 2016, Ahmet Altan a été emprisonné plus de quatre ans à Istanbul avant d'être libéré (avril 2021) sur ordre de la Cour de cassation de Turquie.

Source : Actes sud 

Mon avis

C'est un très beau romann écrit en captivité que nous propose Ahmet Altan.  Un roman émouvant qui nous parle de la vie, de la liberté, d'amour, de littérature.  Il nous parle également sans jamais le nommer de son pays;  la Turquie, un pays dont les habitants comme Fazil notre narrateur perdent leurs repères et leurs racines.

Hayat veut dire vie, plaisir, volupté.

Fazil est un jeune étudiant en littérature.  Sa famille est ruinée, elle a tout perdu, son père ne l'a pas supporté. De riche il est devenu pauvre, c'est un déclassé social parce que le régime en a décidé ainsi.  Il vit en colocation avec un poète - un engagé, résistant par les mots au régime -, une petite fille Tevhide et son père, Gülsum le travesti, Moyambo l'africain émigré, Bodyguard..  Des représentants de la vie d'avant, à l'époque d'une vie dense dans les rues de la ville.

Fazil va pour survivre participer comme figurant à des cabarets télévisés, il y rencontrera Madame Hayat, une quadra toute en rondeur, voluptueuse, sensuelle qui célèbre la vie et en fait toujours un moment de joie.

Il va vivre une relation intense avec elle, ils regardent ensemble des documentaires animaliers comme si la nature humaine ne la surprenait plus.  

Fazil va aussi rencontrer une autre déclassée sociale, étudiante ;  Sila, qui comme lui partage sa passion pour la littérature.  Tous deux ont du mal a accepter d'être devenus pauvre du jour au lendemain.  Ils voient leur pays se transformer, la répression arriver, la dictature émerger, entraver leur liberté, heureusement la littérature est là.  

Ce roman initiatique est une ode à la liberté, deux histoires d'amour, d'attirance, de déchirement. 

Un récit indispensable, une écriture magnifique, riche nous parlant aussi du pouvoir des mots. C'est d'autant plus fort qu'Ahmet Altan a écrit ce récit en captivité et qu'il avait écrit dans "Je ne reverrai plus le monde " cette phrase forte :

"Me jeter en prison était dans vos cordes; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis un écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.
Enfermez-moi où vous voulez, je parcours encore le monde avec les ailes de l'imagination."

La liberté on la porte en soi.  Un récit indispensable que je vous invite vivement à découvrir.

Ma note : ♥♥♥♥♥


 


Les jolies phrases

La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu'aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines. Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l'oubli, abattu d'un seul coup comme ces pantins qu'on prend pour cible dans les fêtes foraines.

Comme beaucoup d'hommes avant moi, je devais découvrir que la meilleure façon de se protéger d'un malheur qui nous frappe est d'en accumuler d'autres pour les utiliser comme une sorte de bouclier. 

Mais on n'apprend pas grand-chose sur l'existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c'est le malheur qui nous enseigne la vie.

Les riches sont des trouillards, tu sais, et plus ils sont riches, plus ils ont peur.  Mais il faut tomber dans la pauvreté pour s'en rendre compte, quand on est riche cette peur-là paraît absolument naturelle...

La littérature ne s'apprend pas. Je ne vous enseignerai donc pas la littérature.  Je vous enseignerai plutôt quelque chose sans quoi la littérature n'existe pas : le courage, le courage littéraire. 

Ne comprend-on le sens de la liberté que lorsqu'on a touché le fond ? 

J'ignorais alors qu'entrer dans la vie de quelqu'un, c'était comme pénétrer dans un labyrinthe souterrain, un lieu hanté de magie dont on ne pouvait sortir identique à la personne qu'on était avant de s'y engouffrer. 

Le fond de toute littérature, c'est l'être humain...  Les émotions, les affects, les sentiments humains.  Et le produit commun à tous ces sentiments, c'est le désir de possession.  Quand vous voulez posséder quelqu'un, vous rendre maître de son coeur et de son âme, c'est l'amour. Quand vous voulez posséder le corps de quelqu'un, c'est le désir, la volupté.  Quand vous voulez faire peur aux gens et les contraindre à vous obéir, c'est le pouvoir.  Quand c'est l'argent que vous désirez plus que tout, c'est l'avidité.  Enfin, quand vous voulez l'immortalité, la vie après la mort, c'est la foi. La littérature, en vérité, se nourrit de ces cinq grandes passions humaines dont l'unique et commune source est le désir de possession, elle ne traite pas d'autres chose.  Tel est le fond. 

Les hommes peuvent tout changer, sauf eux-mêmes.  C'est la seule chose qu'ils sont incapables de transformer.  Telle est leur malédiction.  

Il ne faut avoir peur de rien dans la vie... La vie ne sert à rien d'autre qu'à être vécue.  La stupidité, c'est d'économiser sur l'existence, en repoussant les plaisirs au lendemain, comme les avares. Car la vie ne s'économise pas...  Si tu ne la dépenses pas, elle le fera d'elle-même, et elle s'épuisera. 

La vie ne fait pas peur à ceux qui meurent, mon garçon.  La vie et la mort s'arrêtent ensemble quand on meurt ... Seuls les vivants ont peur de la mort. 

La critique est l'une des branches les plus importantes de la littérature.  Vous ne devez jamais oublier qu'elle lui appartient de plein droit, la valeur littéraire d'une critique dépendant alors soit de l'oeuvre qu'elle critique, soit du mérite que retire cette oeuvre à être critiquée. 

Chacun fait ce qu'il peut.  L'essentiel, c'est de savoir ce qu'on peut et ce qui est au-dessus de nos forces.  

Quand tu as vu les choses en face une fois, tu ne peux plus fermer les yeux, c'est fini.  Ça explique d'ailleurs pourquoi les gens préfèrent rester aveugles...

Le passé de quelqu'un est une chose dangereuse.  Tu ne peux rien y changer, et si tu essaies, tu deviens son ennemi mortel, tu veux tuer ce passé.  Mais pour pouvoir tuer le passé de quelqu'un, c'est la personne qu'il faut tuer.  Et tu finiras par la tuer, juste pour anéantir son passé. 

C'est étrange comme le malheur et le bonheur se ressemblent, l'un comme l'autre nécessitent qu'on oublie la réalité telle qu'elle est. 

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1 commentaire:

Philippe D a dit…

Je ne connais pas l'auteur, mais je commence à voir ce bouquin un peu partout...