samedi 1 octobre 2022

Une ascension - Stefan Hertmans

 Une ascension  -  Stefan Hertmans





















Gallimard
Du monde entier
Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin
Parution : 13 janvier 22
Pages : 480Isbn : 9782072940996
Prix : 23 €




Présentation de l'éditeur

Se promenant dans sa ville natale de Gand un jour de 1979, le narrateur tombe en arrêt devant une maison : visiblement à l’abandon derrière une grille ornée de glycines, cette demeure l’appelle. Il l’achète aussitôt et va y vivre près de vingt ans.

Ce n’est qu’au moment de la quitter qu’il mesure que ce toit fut également celui d’un SS flamand, profondément impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich. Le lieu intime se pare soudain d’une dimension historique vertigineuse : qui était cet homme incarnant le mal, qui étaient son épouse pacifi ste et leurs enfants ? Comment raconter l’histoire d’un foyer habité par l’abomination, l’adultère et le mensonge ?

À l’aide de documents et de témoignages, le grand romancier belge Stefan Hertmans nous entraîne dans une enquête passionnante qui entrelace rigueur des faits et imagination propre à l’écrivain. Examen d’un lieu et d’une époque, portrait d’un intérieur où résonnent les échos de l’Histoire, Une ascension est aussi une saisissante plongée dans l’âme humaine.

Stefan Hertmans


















© Thomas Andenmatten


Ecrivain belge né à Gand en 1951. Stefan Hertmans enseigne au Stedelijk Secundair Kunstinstituut Gent et à l'Académie royale des beaux-arts de Gand (Haute École de Gand). Il dirige en outre le Studium generale jusqu'en octobre 2010. Il a également donné des conférences à La Sorbonne et aux universités de Vienne, Berlin et Mexico, à la Bibliothèque du Congrès de Washington et à l'University College de Londres. Il collabore à un grand nombre de magazines, dont Dietsche Warande en Belfort, Raster et De Revisor.

Il publie son premier roman, intitulé Ruimte, en 1981. Il est aussi l’auteur de poésies, de pièces de théâtre et de nouvelles, et signe de nombreux essais, notamment sur Walter Benjamin, Jorge Luis Borges, Marguerite Duras, Ernst Jünger, W.H. Auden, Martin Walser, D.H. Lawrence, Samuel Beckett, Hugo Claus, Peter Verhelst et Igor Stravinsky.

Il est le premier écrivain belge à avoir été sélectionné pour séjourner en 2000 dans la résidence d'écrivain Villa Marguerite Yourcenar à Saint-Jans-Cappel.

En 2003, il remporte le prix « La ville à lire » pour Entre villes : histoires en chemin (Steden. Verhalen onderweg, 1998). Il reçoit le prix de l'essai 2008 du Koninklijke Academie voor Nederlandse Taal- en Letterkunde pour Poétique du silence (Het Zwijgen van de Tragedie).

Son roman Guerre et Térébenthine (Oorlog en terpentijn) reçoit le prix triennal de la Communauté flamande en 2012 et, en 2014, le prix littéraire AKO.

Il est fait commandeur de l'ordre de la Couronne de Belgique en 2017. La même année il reçoit le Spycher: Literaturpreis Leuk (de) (Loèche, Suisse).

En 2020, il publie un roman-enquête sur la maison qu'il a longtemps habitée dans le vieux Gand (Patershol), et qu'il découvre tardivement avoir été, entre 1930 et 1950, celle de la famille de Willem Verhulst, V-Mann de la Gestapo, père d'Adriaan Verhulst.

Source : Wikipedia

Mon avis

En 1979, Stefan Hertmans fait l'acquisition d'une maison dans le quartier aujourd'hui branché de Patershol, Drogenhof à Gand.  Une maison laissée à l'abandon que nous allons visiter de fond en comble.

Il l'occupera 20 ans et apprendra par un livre "Zon van een 'foute' Vlaming" - fils d'un flamand fautif - écrit par son ancien professeur Adriaan Verhulst, qu'elle fut occupée par un SS flamand : Willem Verhulst.

Interpellé, Stefan va rassembler de nombreux témoignages; ceux des enfants Adriaan, Letta et Suzanne mais aussi de nombreux documents d'archives.  Il va rédiger une enquête impressionnante pour nous donner la lecture de ce "docu-roman".

L'écriture de Stefan Hertmans est vraiment très belle et agréable à lire, utile pour "digérer" toutes les informations. C'est un peu ardu au départ mais très vite, on est emporté par le style et l'écriture et on veut comprendre qui était Willem Verhulst.

Un drôle de gars qui a perdu un oeil enfant, sa mère aussi.  Victime de moqueries à l'école de la part des francophones de surcroît, est-ce cela qui le poussera à devenir plus tard un nationaliste ?

Il perdra sa première épouse Elsa, une juive allemande, ironie du sort.  Sa vie aurait-elle été différente si elle n'était pas décédée si jeune ?  
6 mois après sa mort, il épousera Mientje (Harmonia Wijers), une protestante hollandaise très croyante, pacifiste, serviable, toujours dévouée pour les autres.  Elle est horrifiée par le devenir de son mari, reste fidèle et dévouée, elle s'occupera des trois enfants.  

Très tôt, Wim intégrera les mouvements nationalistes flamands, euh plus exactement flamingants.  Il dira vouloir "défendre l'identité culturelle flamande".  Stop à l'enseignement francophone, à ces "Belgicistes" comme ils les nommaient.  Ses idées, son pays c'est vers l'Allemagne qu'il doit se tourner.

Il montera très vite les échelons de la hiérarchie, pour devenir "un héros de pacotille", un sacré froussard en fait, pourtant un des plus grands collaborateurs de Flandre durant la 2ème guerre.

Il deviendra entre autre, directeur de la radio-diffusion gantoise, chargé de la propagande, militant du DINASO, sur base de la culture, il pactisera avec l'ennemi, portera fièrement l'uniforme et la casquette à tête de mort, mettra dans son salon, 'la chambre mortuaire', le buste de Hitler sur la cheminée, deviendra un Waffen SS, espion de la Sicherheisdienst, dressera des listes et continuera à grimper dans la hiérarchie.

Ce livre m'a permis de mieux comprendre mon pays, l'origine linguistique de l'idée du séparatisme qui anime encore le Nord du pays. Comprendre la Flandre, sa réussite, son passé de collaborationnisme, l'Histoire avec un grand H.  Comprendre qu'à l'origine de la première guerre, l'enseignement était francophone, l'origine de la haine contre la langue française , contre la Belgique.

Un roman excessivement bien documenté, agrémenté de photos.  L'auteur reste neutre, ne prend jamais position, il expose les faits et les ressentis complexes de l'âme humaine.  Il me fait prendre conscience de la difficulté d'être femme, enfant, membre de la famille de collaborateurs, d'être partagé entre l'amour d'un proche et l'horreur de ses actes. et également de comprendre certaines rancoeurs toujours en vigueur.

Ma note : 9.5/10


Les jolies phrases

Ces Allemands, ils ne sont amicaux qu'en apparence.  Goethe n'a-t-il pas dit : "En allemand, on ment quand on est poli "?  Une discussion s'engage au cours de laquelle le vieux pasteur se montre implacable, triste et désemparé; il n'a rien de positif à dire sur Willem. Même sans se salir les mains, on peut commettre des crimes, rugit-il.


Mais tout uniforme la fait frémir. Comment dormir l'un près de l'autre quand les rêves de chacun ont suivi leur propre voie obscure ? La nuit est une crapule. Les enfants respirent d'une innocence qui humidifie légèrement leurs lèvres, ils balbutient des absurdités dans leur sommeil. Que fait de nous la guerre, cher pasteur Wartena? Pourquoi mon bien-aimé est-il un étranger dans mon lit ?



Plus je me plonge dans les mémoires d'Adri, plus je remarque les aspects qu'il n'a pas pu, ou pas voulu approfondir. Comme si la culpabilité était héréditaire et qu'il n'avait pas la force de porter le fardeau dont il s'était chargé : un fils aux épaules lestées du poids mort de son père. La douleur réside dans le silence entre les mots de son témoignage.


Pourquoi me fallait-il à tout prix voir cet endroit de mes propres yeux ? Peut-être la visite d'un lieu de souvenir, même si c'est celui d'autres personnes, est-elle une manière de laisser l'histoire s'apaiser.


J'ai toujours eu un faible pour l'odeur d' humidité et de délabrement dans les vieilles maisons. Peut-être parce que né peu après la guerre, j'ai dû encore traverser, en tenant la main de ma mère, des habitations endommagées par les bombardements, et que l'odeur de pierre humide et de moisi est devenue pour moi celle de la célèbre madeleine de Proust. Quand on est enfant et qu'on n' a pas encore de souvenirs, même l'odeur de délabrement est une source de bonheur.

Le présent s'évanouit, les bruits de la rue bruxelloise s'atténuent, les papiers font entendre un bruissement, devant moi s'ouvre un éventail en langue administrative alambiquée et derrière, comme à travers la poussière de l'Histoire qui s'envole, un homme vient à ma rencontre, il porte des lunettes avec un verre dépoli devant son oeil gauche, on ne le voit pas très bien dans l'obscurité mais on le sait, et il porte aussi un uniforme noir avec, par-dessus, le long manteau en cuir noir, il est deux heures et demie du matin et, suivi d'une dizaine de militaires tenant leur arme en joue, il tambourine à la porte d'un grand bâtiment sur le quai au Blé, un institut francophone, une enclave pour une caste en voie de disparition, mais c'est la nuit, personne ne le voit, de la brume s'élève du canal le long du bâtiment.   

Rien n'est plus funeste pour la joie de vivre que le sentiment secret de devoir toujours se justifier devant un juge intime qu'on ne connaît pas.  Il voit tout et condamne tout ; ce n'est jamais assez bien, on est toujours le perdant, quoi qu'on fasse ; il est insaisissable - il ressemble parfois à un ancien amour, puis à l'ami qui vous a trahi ou à la femme aux yeux perçants qui se moque de vous dans la pénombre ; tantôt le démon est rieur, ironique, se montre même patient face à vos imperfections, puis soudain vous parle, avec une immense condescendance, de ce que vous voulez éviter à tout prix, alors que c'est justement ce qui se passe, par votre faute en plus, votre grande faute, votre faute inepte, ineffaçable ; tantôt c'est un citoyen d'une élégance fatale qui vous tourne le dos parce que vous venez de faire quelque chose d'idiot qu'il est le seul à avoir vu; il vous guette quand vous ouvrez les yeux le matin et vous laisse vous endormir en haussant les épaules, parce que vous avez tout simplement fait ce que vous avez fait, sans savoir agir autrement. 


Aucun commentaire: