samedi 10 octobre 2015

La dernière nuit du Raïs Yasmina Khadra ♥♥♥♥♥

La dernière nuit du Raïs

Yasmina KHADRA

couverture

Julliard
Parution le 19/08/2015
Format : 130 x 205 mm
Nombre de pages : 216
Prix : 18,00 €
ISBN : 2-260-02418-1



Quatrième de couverture



« Longtemps j'ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J'étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd'hui, je n'ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence.
Lequel, du visionnaire tyrannique ou du Bédouin indomptable, l'Histoire retiendra-t-elle ? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l'on n'est que ce que les autres voudraient que l'on soit. »
Avec cette plongée vertigineuse dans la tête d'un tyran sanguinaire et mégalomane, Yasmina Khadra dresse le portrait universel de tous les dictateurs déchus et dévoile les ressorts les plus secrets de la barbarie humaine.

L'auteur nous en parle




Mon avis

Nous sommes la nuit du 19 octobre 2011, Mouammar Khadafi est retranché dans une école en ruines dans les restes de la ville de Syrte.  Le Raïs (le guide) et quelques fidèles attendent le colonel Mountassim (son fils) pour un dernier espoir de retranchement.
La fin est proche, la nuit est longue, nous savons que c'est la dernière.

On m'a autorisé à dresser ma tente sur la pelouse de Paris en pardonnant ma muflerie et en fermant les yeux sur mes "monstruosités".  Et aujourd'hui, on me traque sur mon propre fief comme un vulgaire gibier de potence évadé du pénitencier.  Étranges, les volte-face du temps.  Un jour vous êtes idolâtré, un autre vous êtes vomi ; un jour vous êtes le prédateur, un autre vous êtes la proie.  Vous vous fiez à la Voix qui vous déifie en votre for intérieur puis, sans crier gare, les lendemains vous découvrent dissimulé dans un coin, nu et sans défenses, et sans l'ombre d'un ami.

Yasmina Khadra réussit ici un tour de force, il utilise la première personne.  Par le "je" c'est Khadafi qui s'exprime et nous conte sa dernière nuit.  Une réelle prouesse de se mettre dans la tête de ce tyran qui pendant quarante ans a semé la terreur pour le bien de son peuple et de la Lybie.

On découvre un homme qui aurait un peu d'humanité, c'est troublant, déroutant.  Peut-on être un despote et en même temps aimer ses enfants et petits-enfants, avoir des angoisses, éprouver une certaine solitude?  Une certaine empathie s'est dégagée un court instant, le temps de découvrir cette dualité, cette folie qui l'habitait depuis longtemps.

Il replonge dans son enfance, ses origines, fils de berger, pauvre.  Mais fils de qui ? Il ne le saura jamais, il en a souffert.  Il a été habité très tôt, raison pour laquelle il fut écarté du village.

Il a étudié, rencontré un premier amour.  Il a été humilié, révolté, idem à l'armée et là son autre personnalité malheureusement connue de tous a pris le pouvoir.  Tyran, despote il n'a fait que suivre "la Voix" qui lui guidait sa conduite, ce qu'il a fait l'était comme toujours pour le bien de son peuple.

Aujourd'hui il est traqué comme un rat mais n'a toujours pas le moindre remords.  On vit sa grossière disgrâce, la dernière heure, il s'exprime sur les femmes, l'art. Sous l'effet de l'héroïne on partagera ses délires, ses cauchemars dans lesquels on croise Saddam Hussein, Ben Ali qu'il juge.
Vincent Van Gogh est également présent dans ses rêves, j'ai trouvé ingénieux la place qui lui est donnée, ainsi que la chute.

Ce roman se lit très vite.  L'écriture est tout simplement sublime.  Simple, puissante, lumineuse et acide à la fois.  La plume est percutante et non complaisante.  Un réel tour de force qui permet de décrypter la psychologie et de comprendre sans excuser nullement.  C'est tout simplement passionnant, à découvrir de toute urgence.


Un énorme coup de coeur.


Les jolies phrases

...certain qu'une cause juste se doit d'être défendue puisque telle est la condition majeure pour mériter d'exister.

Ma famille n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan.  Être à vos côtés en ce moment est un privilège et un bonheur absolu.

Je suis capable d'aller en enfer chercher la flamme qui réduirait en cendres tout mais osant se poser sur vous.

Mon destin se joue à pile ou face, et la pièce de monnaie demeure suspendue en l'air, aussi tranchante qu'un couperet.

Je pouvais disposer de tous les trésors de la terre, il suffisait qu'une femme me refuse pour que je redevienne le plus pauvre des hommes.

L'affectif n'a pas sa place dans la gestion de l'Etat et les erreurs sont tolérées.

Nous n'étions que des nomades poussiéreux qu'un roi fainéant prenait pour un paillasson et vous avez fait de nous un peuple libre que l'on envie.

Je ne tolère pas que l'on discute mes ordres, que l'on remette en question mes jugements, que l'on fasse la moue devant moi.  Ce que je dis est parole d'évangile, ce que je pense est présage.  Qui ne m'écoute pas est sourd, qui doute de moi est damné.  Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite.

L'important n'est pas d'où l'on vient, mais le chemin que l'on a parcouru.

Ce qui compte, c'est ce que nous sommes capables de laisser derrière nous.

Syrte n'est qu'un terrible gâchis, un vieux tapis râpé que l'on bat au gourdin, un paillasson sur lequel on essuie ses bottes crottées.  On dirait que les dieux l'ont choisi pour faire le deuil de leur olympe.

On peut toujours prêcher dans le désert, monsieur, mais on ne sème pas dans le sable.

Je m'imagine mal jouir ou subir la même chose l'éternité entière.  Ce qui n'a pas de fin use et ennuie.

J'avais la foi, je n'ai plus d'idéal, monsieur.  J'ai renoncé à la première pour ne pas avoir à la partager avec les hypocrites et j'ai renoncé au second parce que je n'ai trouvé personne avec qui le partager.

La défaite a son mérite ; elle est la preuve que l'on s'est battu, pas de honte à être vaincu.

Le règne est une culture compatible avec un seul ingrédient le sang.  Sans ce sang, le trône est un échafaud potentiel.


Les plus beaux contes de fées, quand ils se réinventent dans d'interminables feuilletons, finissent par lasser.  C'est sans doute ce qui est arrivé au Solitaire qui est là-haut.  Il n'a plus de suite dans les idées en ce qui me concerne.  Il n'a même plus envie de connaître la fin de l'histoire.

La vie n'est qu'un rêve dont notre mort sonne le réveil, se consolait mon oncle.  Ce qui compte n'est pas ce qu'on emporte, mais ce qu'on laisse derrière soi.

Tu n'écoutes que d'une oreille, celle que tu prêtes volontiers à tes démons, tandis que l'autre reste sourde à la raison.





2 commentaires:

Sabine a dit…

Magnifique chronique , j'ai beaucoup aimé ce roman

Laeti a dit…

C'est un peu une biographie finalement? Les phrases choisies sont intéressantes!