jeudi 26 août 2021

Mahmoud ou la montée des eaux - Antoine Wauters ♥♥♥♥♥

Mahmoud ou la montée des eaux - Antoine Wauters











Verdier
Parution : 26 août 2021
Pages : 144
Isbn : 9782378561123
Prix : 15.20€


Présentation de l'éditeur

En Syrie, la construction du barrage de Tabqa en 1973 a entraîné la submersion d'un village par le lac el-Assad. Souhaitant revoir sa maison d'enfance engloutie, un vieil homme navigue sur l'étendue d'eau et plonge pour retrouver ses souvenirs, ses enfants, sa femme Sarah, passionnée de poésie ainsi que sa liberté et la paix du pays.

Mon avis

Mahmoud Elmachi est aujourd'hui un vieil homme.  Certains le surnomment le vieux fou.
Chaque jour inlassablement, il prend sa barque et son tuba et plonge au milieu du lac el-Assad.  Il y plonge de plus en plus profondément jusqu'à l'engloutissement.

Il s'enfonce sur ce qu'était son village, la terrasse du café Farah, la maison de son enfance, de ses amours.

L'eau monte un peu plus chaque jour, le sommet de la mosquée ne sera bientôt plus visible.

Ce lac créé artificiellement suite à la construction du barrage de Tabqa, non loin de Raqqa de 1968 à 1973, a englouti les souvenirs de la vie d'antan, une vie meilleure, celle de son enfance, les dattiers, les siestes, les nouvelles du monde écoutées à la radio.  Tout cela c'était avant !

Le barrage devait selon Hafez apporter à la Syrie, berceau des civilisations, la force, le travail et la prospérité.  Changer le cours du fleuve c'était pour irriguer les terres, donner à chacun la prospérité... de belles promesses... mais hélas ce barrage c'est aussi un enjeu stratégique et les combats font rage et l'eau monte chaque jour !

Mahmoud en plongeant se souvient et lâche prise. L'absence lui pèse plus que tout.

Il se souvient de sa jeunesse, de son travail, lui l'instituteur qui devait écrire les louanges du régime, muselé, se taisant jusqu'à manquer d'air et crier l'appel à la liberté !

Il se souvient de ses amours; Leila, Sarah.. et ses enfants partis en quête de liberté. Il pense à l'horreur, la répression mais aussi à l'espoir, celui du printemps...

Il reste seul avec son grain de beauté qui lui fait mal.... et les combats qui font rage.

C'est un roman magnifique écrit en vers libres d'une force incroyable.  Une pépite comme le reste de l'oeuvre d'Antoine Wauters.  Une écriture poétique qui dénonce la dérive de notre monde, qui donne voix aux victimes et aux opprimés du régime syrien.  

C'est puissant, émouvant.  Certains passages sont à lire à voix haute apportant encore plus de puissance, de force à un espoir, un cri de liberté.

Les larmes sont montées comme les eaux à la fin de ce récit magnifique.  

Un roman percutant de la rentrée, incontournable à mon sens.  Une claque ! Un récit qui permet de comprendre , de découvrir ou approfondir l'histoire du peuple syrien.

Il est dans la première sélection de trois prix : Prix du roman Fnac, Prix littéraire du journal Le Monde et Prix Marguerite Duras.

A ne rater sous aucun prétexte!

Enorme coup de coeur ♥♥♥♥♥


Les jolies phrases

Quand on a perdu un enfant, ou plusieurs enfants,
ou un frère, ou n'importe qui comptant follement
pour nous, alors on ne peut plus avoir un buisson
de lumière dans le coeur. On ne peut plus avoir
qu'un ridicule morceau de joie.  Un fétu minuscule.
Et on se sent comme moi depuis tout ce temps :
séparé.
Détruit.

Bachar rentre au pays et il devient un autre.
Les monstres naissent dans la nuit. 

Il est toujours trop tard quand on ouvre les yeux.
Penchés au-dessus de nous, les monstres tiennent de
longs ciseaux glacés et les pointent en notre direction.
Tchack ! Voilà comment ils font.
Ils nous prennent nos rêves
et les coupent en menus morceaux.

Ecrire le dévorait.
Il y mettait sa vie.
Or écrire, je pensais, non, j'en étais sûre comme
on est sûr de porter la vie, doit être une chose simple, ou
alors elle est intenable.
Comme vivre et comme aimer.

La nostalgie est une chose pure.

À l'époque, je n'avais jamais vu autant de force chez
quelqu'un. Tu ne reculais devant rien.  Un miracle,
la liberté n'ayant rien d'un sport national
par chez nous.
Ailleurs, elle est sur toutes les bouches.
Chez nous, elle coud les lèvres de ceux
qui en parlent.

Il leur lit un de mes poèmes (oui, à moi, femme du poète
Elmachi) où je dis que les mots sont la main visible du
silence, la forme qu'il revêt pour être compris de nous.

Ce n'est pas moi qui observe le lac, mais lui,
lui qui fixe la surface du monde, ses plantes,
ses arbres fruitiers et les fourmis des sables.
Mon visage raviné.
Il écoute aux portes de nos vies.
Il comprend. 

Vieillir, c'est devenir l'enfant que plus personne ne voit.
L'enfant dont on dit qu'il a les cheveux gris.
Dont on attend des choses, promesses, gloires et
accomplissements, alors que tout ce qu'il souhaite,
c'est rester à jouer avec son bâton en regardant tomber la 
pluie, les mains couvertes de boue.

L'oubli est une seconde mémoire.

La vie, c'est d'être toujours mouillé.

Qui a dit que vieillir, c'est oublier ?
J'ai rejoint la mémoire des choses, Sarah.
Chaque jour, je nage jusqu'à me revoir enfant.

Est-ce cela, vieillir ?
Mieux voir hier qu'aujourd'hui ?
Mieux voir jadis que maintenant ?
Chercher à oublier mais voir tout revenir ?
Le passé est une bombe. Il explose. 
Eux, c'est cela qu'ils nomment oubli, qu'ils nomment
vieillir.

Moi, je ne suis jamais allée aussi loin, je ne me suis
jamais livrée comme toi au poème, mais je l'ai connue,
cette solitude.  La solitude de qui se risque à écouter
la voix des pierres,
l'isolement de l'eau,
je la connais.
C'est elle, à chaque fois que tu plonges,
ton vieux masque à la main, c'est elle que tu rejoins.
Le vide.
L'accession à l'oubli.
Ta main est solitude, Mahmoud.
Descend encore.
Plus bas.
Autrefois, les gens qui te lisaient disaient que tu avais le don
des images. Mais toi, tu me disais que tu ne voyais rien,
que tu étais aveugle.  Mon seul talent consiste à m'effacer,
disais-tu. M'effacer en traçant des signes... Eux voient le
poète Elmachi, et moi je ne vois que l'oiseau que j'étais hier,
je ne vois que la fourmi en quoi m'a transformé ce poème.
Une vie à écrire.  Tout ça pour me rendre compte que les
mots ne disent rien, qu'il n'y a rien au fond d'eux, qu'un peu
de silence. Et de paix.

Les mots ne sont que les bras armés du silence,
et je n'ai plus envie de me battre.

Toute ma vie, j'ai écrit parce que je souffrais de voir,
se briser ce pays : celui des rêveries de l'enfant.
Toute ma vie, je l'ai passée à me battre pour conserver 
le privilège de pouvoir respirer auprès de vous. 

Á Alep, un de nos amis avait cette image. Tu te souviens ?
Il disait que si on recouvrait une carte de la terre avec des
petites pastilles colorées indiquant l'endroit où se trouvent
nos livres, on aurait une vision plus sereine des choses,
davantage de confiance.
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1 commentaire:

Philippe D a dit…

A ne rater sous aucun prétexte ! Je veux bien, mais ce n'est pas possible de tout lire ! Il y a tant de livres intéressants !
Je retiens celui-ci, mais ce ne sera pas pour tout de suite.