mardi 7 février 2023

Le mystère de la femme sans tête - Myriam Leroy ♥♥♥♥♥

Le mystère de la femme sans tête - Myriam Leroy  ♥♥♥♥♥












Seuil
Cadre Rouge
Parution : 06/01/23
Pages : 288
Isbn : EAN 9782021515763
Prix : 19.50 €


Présentation de l'éditeur



« Sur la photo, c’est sa physionomie qui captive. Un petit nez rond et des bonnes joues mais une morgue et des yeux durs, des yeux qui te voient là où tu ne veux pas être vue… Tout dans ce visage dit à la personne qui regarde : “Dégage.” Il est impossible de s’en détourner. Tu y es ventousée. Fascinée par le caractère hostile de la pose et la beauté farouche du modèle, débarrassé de toute politesse. »

Qui est cette femme-enfant au regard frondeur ? Jeune Russe exilée en Belgique, Marina Chafroff fut, sur ordre de Hitler, décapitée à la hache en 1942.

Cette mère de famille au courage extraordinaire, sacrifiée pour que vivent des innocents, aurait dû marquer l’Histoire. Elle est pourtant tombée dans l’oubli. Comment a-t-elle été
refoulée de nos mémoires ?

Au fil d’un récit aux résonances intimes, plein de coïncidences et d’impasses, Myriam Leroy ressuscite le destin fulgurant d’une météorite dans le ciel de la Seconde Guerre mondiale.

Un roman intense et habité où 1942 et 2022 se superposent en deux calques troublants reléguant toujours les femmes à l’arrière-plan.

Myriam Leroy, née en 1982, est journaliste, écrivaine et dramaturge. Elle vit à Bruxelles. Le Mystère de la femme sans tête est son troisième roman, après Ariane (Don Quichotte,
2018, finaliste du prix Goncourt du premier roman) et Les Yeux rouges (Seuil, 2019).



Mon avis

Décembre 2020, nous sommes en plein confinement, les sorties sont rares, masquées. Pour y échapper, Myriam Leroy donne rendez-vous à son amie au cimetière d'Ixelles.  En passant devant la pelouse d'honneur de la seconde guerre mondiale, Myriam a l'attention attirée par un prénom féminin : Marina Chafroff épouse Marutaeff et la mention DECAPITEE...  Interpellée, elle prend une photo qu'elle poste sur les réseaux.  Le mot "Décapitée" choque  !  

Mais qui était cette femme? Pourquoi décapitée ?

Un petit bout de femme d'1 mètre 56, la tête d'un gavroche, peu d'information à son sujet, si ce n'est qu'elle est d'origine russe blanche née le 30 mars 1908. Cette femme va l'obséder et elle va entreprendre une enquête.  Marina est morte décapitée à la hache sur ordre d'Hitler le 31 janvier 1942.

Cela résonne en Myriam, une femme décapitée, pourquoi tant de violence? Pourquoi tant d'invisibilité alors qu'elle repose sur la pelouse d'honneur ? Comment ce petit bout de femme est-elle tombée dans l'oubli ?

Commence alors le récit d'une enquête passionnante qui va nous immerger dans l'Histoire.

Marina était mère de deux enfants, mariée à Youri, l'amour de sa vie, très jeune à l'époque, trop jeune pour endosser son rôle de père.  Mais l'histoire de Marina va s'imbriquer dans celle de Myriam.  Avec brio, elle alterne les époques, son histoire et celle de Marina.  Beaucoup de points communs les relient, des coïncidences, cela l'interpelle, des lieux de vie communs...

Ce sont deux femmes qui à 80 années d'intervalle subissent leur genre. La femme n'est pas prise au sérieux, elle est à l'époque reléguée aux tâches ménagères, subissant le patriarcat.  Elle ne peut émettre d'opinion politique, la condition de la femme est dévalorisée (salaire très bas en usine durant la guerre, c'est la femme qui fait la queue pour les tickets de rationnement...)

Alternant les époques et utilisant le "tu" pour son histoire personnelle, un roman très intime, féministe.

C'est magnifiquement écrit, l'auteur nous l'annonce dès le départ, il s'agit bien d'un roman, les faits reconstitués sur Marina en fonction de l'enquête et des témoignages recueillis sont véridiques mais les pensées et les pistes qui ont été explorées sont imaginaires.

Ce roman est passionnant, captivant, une petite merveille à découvrir.


Ma note : coup de ♥




Les jolies phrases

Ils meurent tous ceux qui ont connu la guerre, y ont participé ou en ont été affectés.  Et leurs archives en noir et blanc ont déjà un goût d'irréalité.

Etait-ce cela, était-ce ce qu'on appelait "amour", qui grésillait dans l'abdomen de Marina ?  A 23 ans, elle ne l'avait encore jamais goûtée, cette sensation d'aspiration entre les cuisses, de vide à combler, cette brûlure difficile à soutenir mais dont on ne veut pourtant pas se débarrasser.  Elle n'était pas sotte, elle savait que le désir d'une femme pour un homme existait, elle l'avait lu, mais celui-là était si intense, si nouveau, qu'il engendrait un certain désarroi.  C'était de l'amour, oui, certainement, et c'était même le grand, celui d'une vie, ce ne pouvait être autre chose.

Elle découvrait que le malheur était un chapeau de magicien et que si l'on frappait la calotte avec vigueur, elle révélait un double fond. 

L'armée la plus puissante au monde allait se cogner au peuple le plus fier du monde, à moins que ce ne fut l'armée la plus fière du monde qui s'apprétait à frapper le peuple le plus puissant au monde.  

Tu lui prêtes tes affects.  Tu ne te préoccupes pas de ceux qui vont taxer ce parallèle d'obscénité, parce que s'il y a une chose dont tu ne doutes plus, c'est qu'il existe un lien d'humiliation unissant toutes les femmes, comme un cordon, qui se déploie de cou en cou à travers les âges.  Une communauté secrète dont les archives, qu'on s'emploie à détruire, dégoulinent de pisse, de bave et de sperme.  Tu ne sais plus où tu as lu que le point commun entre les femmes, le seul peut-être, c'est qu'on les traite comme des femmes.  Tu ne saurais mieux dire. 

Tu as la certitude que la violence jamais rendue devient feu et qu'il n'y a pas trente-six manières de l'éteindre.  Il en existe deux, au fond : l'implosion et l'explosion.

...tu étais terrorisée par l'oubli dans lequel Marina avait sombré, car s'il y avait quelque chose qui te faisait peur, ce n'était pas de mourir, mais de vivre pour rien...

Oui, ça c'était terrible, mourir dans l'espoir que triomphe un monde, et que celui-ci vous néglige, vous oblitère. 

Plus tu remues le passé, plus tu comprends que ce qu'on appelle vérité est la version du dernier qui a parlé.  Et que le dernier qui a parlé est généralement un militant, car le militant a ce muscle, cette énergie, celle de revenir sur les lieux que l'on croyait désertés pour y inscrire sa pensée et faire murmurer les reliques. 

Oui, en son for intérieur, Ludmilla le sentait : l'attaque de l'avenue Marnix, celle du 7 décembre, c'était un coup des hommes. C'était brouillon, inconséquent, c'était dangereux... ça ne pouvait venir d'une femme, encore moins d'une mère, non.  Les mères savaient cela, à travers le monde et les époques, elles partageaient cet organe inconnu, cet appendice dont il n'était fait mention dans aucun traité d'anatomie, se manifestant par un grésillement douloureux quand elles étaient confrontées à ce que les mères ne feraient jamais.  Et ce que les mères ne feraient jamais, se disait Ludmilla, c'était se fourrer de sa propre initiative dans des situations dangereuses pour leurs enfants, les abandonner à un homme immature, prendre le risque d'en faire des orphelins et de leur infliger la douleur du deuil. Ce qu'elles ne feraient pas, c'était laisser croire à leurs petits que la patrie importait plus qu'eux. 


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1 commentaire:

eimelle a dit…

voilà qui donne envie de le découvrir!