jeudi 24 novembre 2016

Les contes défaits Oscar Lalo


Les contes défaits

Oscar Lalo

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Belfond
Pointillés
Parution le 25 août 2016
224 pages
ISBN-13: 978-2714473868
Prix : 18,00€

Présentation de l'éditeur


Peau d'âme, noire neige, le petit poussé... Il était zéro fois... c'est ainsi que commencent Les contes défaits.

Peau d'âme, noire neige, le petit poussé... Il était zéro fois... c'est ainsi que commencent Les contes défaits.
L'histoire est celle d'un enfant et de l'adulte qu'il ne pourra pas devenir.
Je suis sans fondations. Ils m'ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m'empêche de mettre le mien. La page reste blanche car tout ce qui s'y inscrit s'évapore.
Sans rien dire jamais de ce qui ne se montre pas, loin de la honte et de la négation, Oscar Lalo convoque avec ses propres mots, pourtant universels, la langue sublime du silence...
Et c'est en écrivant l'indicible avec ce premier roman qu'il est entré de façon magistrale en littérature.

Mon avis


Le décor est planté dès le premier chapitre, notre narrateur a soixante-cinq ans et veut enfin trouver un équilibre. Il lui manque une pièce dans le puzzle de sa vie, il veut juste la trouver, rien d'autre, pour rendre une justice et surtout ne pas devenir bourreau.


"Affronter son passé pour comprendre son présent et espérer éclaircir son avenir"

Lorsqu'il était enfant, il était coutume de l'envoyer avec son frère à chaque vacance en "colonie", oh non pas "Les joyeuses colonies de vacances" chantées par Pierre Perret.  Oh que non, même si les parents le pensaient car comme c'était cher , c'était donc bien ( le pouvoir de l'argent !)  mais aussi la brochure qui idéalisait l'endroit montrant entre autre de copieux petits-déjeuners croissants, jus d'orange.  Encore un miroir aux alouettes, le petit-déjeuner se prenait en fait serré sur un banc parfois à 35, des tartines énormes, dures,  badigeonnées de fraise, le tout mouillé par un thé ou un chocolat.

C'est âgé de dix-huit mois que tout commença pour notre narrateur, d'abord l'abandon à la gare, un long voyage en train, l'arrivée au "home" (sweet home, ah non pas du tout!- c'est ironique car c'était tout le contraire, et le voyage avec l'homme "des enfants".

"Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train.  Á qui se plaindre quand c'est la police qui vous livre ?"

La directrice : dominatrice, tyrannique, pernicieuse, elle contrôle tout, gère tout.
Le home :

  • c'est la "sodomie matinale" avec le thermomètre coupable, si 37, 4 ° on est considéré malade !
  • c'est l'obligation de "faire dans le pot" devant tout le monde après le repas
  • c'est la promenade obligatoire
  • c'est ne pas courir, ne pas salir, se taire, ne pas crier, ne pas être en sueur...
  • c'est la directrice qui souffle les réponses au téléphone, il fait toujours beau, tout va toujours bien.  
  • c'est la directrice qui dicte les courriers
"La version orale des lettres que nous leur envoyions authentifiait nos propos et détruisait d'autant la vérité qu'ils ne pouvaient plus comprendre."

Bref elle domine et impose la terreur. Mais ce n'est pas le pire !

Le pire c'est l'homme des enfants : le loup dans la bergerie, celui que l'on croit ami car il est doux, il console, il caresse, et touche les enfants, c'est pire car c'est indicible, innommable , comment se plaindre, en parler ?  C'est la loi du silence.

Septante-neuf courts chapitres abordent ce sujet sensible et douloureux dont Oscar Lalo nous parle avec énormément de pudeur.  Il est économe des mots, concis, direct. Il joue et détourne avec élégance les mots.  

  "Pourvoyeur de plaisir pour voyeurs.  Un viol de nuit sans Petit Prince.  Les contes défaits etc ..."

Son style est direct.  Sa plume sobre, subtile et travaillée.  Il dit sans dire.  Il verbalise cette quête de justice et explique comment le narrateur a été "défait" comme ses contes.

Un récit touchant, douloureux, indispensable.  Un premier roman dont on ne sort pas indemne.

Un petit bijou.

Ma note : ♥

Les jolies phrases

Elle nous apprit en une seconde : qu'à ne pas le choisir, on accepte qu'un autre choisisse l'autre.

Nous étions sous pression.  Rêver sur une chaise, dans un livre, sur un puzzle, ou marcher sans but précis, c'était risquer le surgissement du loup, du chien ou de leur maîtresse.  On n'y comprenait rien.

Mais cette famille intérimaire nous bousculait tellement que toute notre énergie passait à rétablir notre équilibre.Leurs gestes, par exemple.  La directrice nous frappait et l'homme nous caressait.

Si à l'oeil nu, la carence affective ne se voit pas, la carence alimentaire, elle crève les yeux.

Et être proie revenait à tendre la joue. Pour une claque ou une caresse.  La seconde laissait plus de traces.

J'étais devenu sans m'en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien.  A la fois acteur principal d'un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi.  Ainsi mon problème n'est-il pas de n'avoir rien construit dans ma vie, mais d'avoir systématiquement tout détruit.

Dire un seul mot, ce serait tout dire, donc perdre un ami. Alors pour le garder, cet ami, nous ne bronchions pas et devenions notre pire ennemi.

Cette quarantaine volontaire joignait dangereusement deux ingrédients : la douleur et la haine.  Á ceci près que l'explosion n'avait lieu que des années plus tard.  Les dommages décimaient alors l'entourage, indemne jusque-là.  Avant cela, douleur et haine consumaient la mèche qui brûlait tout l'intérieur.  La décomposition qui en résultait affaissait tout l'organisme sans relâche.  Haine et douleur se relayaient pour redoubler une tension d'autant plus sourde qu'on n'éclatait toujours pas.

Ils ressemblaient tous à des nuages.  Mais des nuages d'un genre particulier.  De ceux qui ne pleuvent jamais.

C'est comme une tache que l'on constate sur soi et qu'on peine à relier à un événement précis alors qu'elle a forcément une origine.

Car un attouchement va plus loin que l'acte lui-même.  Il creuse une plaie dans l'eau de mer, qui ne peut que s'élargir.

Pourquoi donc la soumission ?  Pourquoi n'avons-nous jamais dit "Non !", juste pour voir ?

Le mariage de l'incertain et de l'anodin : c'était ça le home.  Les bons moments qui passent de promesses à sévices.  Vos bourreaux qui vous délivrent.  Bref, la menace perpétuelle du naufrage sur mon lit-canapé.

J'ai plusieurs professions pour éviter de penser.  Je suis sportif et musicien, cinéphile et mélomane.  Je me suis inventé mille vies car je n'en vis aucune.

De fait, les abus commis sur l'infant n'existent pas puisqu'à moins de six ans, on est pénalement irresponsable.  On n'a pas l'âge de raison. Traduisez : on a toujours tort.  Les actes n'existent pas. Preuve en est : on ne peut pas vous frapper d'une peine. Vous êtes déjà condamnés à vie.  Ainsi, par un effet pervers prévu pour les pervers, un mur d'impunité entoure toute exaction commise sur un trop petit enfant ; puisqu'il ne peut pas être coupable, il ne peut pas être victime.

Quand on a voué sa vie à se nier, peut-on seulement s'entrevoir au kaléidoscope dont le jeu de miroirs angulaires émiettera notre reflet ?

Mon testament est simple.  Il tient en trois mots : je vais vivre.  Je veux vivre. Je meurs de m'y mettre. L'enjeu : ne pas vivre à l'envers.

Peau d'âme, noire neige, le petit poussé, bref, tous ces contes défaits.

On m'a privé d'enfance comme d'autres de dessert.  Sauf que l'enfance, c'est l'entrée et le plat principal. Á cause de l'homme d'enfants, je suis un homme enfant.


Un bon mensonge vaut mieux qu'une mauvaise vérité.





1 commentaire:

zazy a dit…

J'ai aimé ce ivre dérangeant